Chapitre 23

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Troublant voyage

Mais oui ! La montre de gousset...

Thomas avança vers son armoire d'un pas hésitant : utiliser la montre était-il le bon choix ? Argh ! Il devait arrêter d'hésiter comme ça et prendre une décision, une bonne fois pour toute. Ce dont il était certain était qu'il ne voulait pas sortir. La flemme ! Et puis, un saut d'une heure ou deux dans le temps pour accomplir ses corvées, ce n'était pas la mort !

Quittant sa chaise, il se dirigea droit vers la penderie qui se trouvait à moins de trois mètres sur sa droite, en ouvrit les portes, tira le compartiment dans lequel il rangeait ses sous-vêtements, pour fouiller à l'intérieur et en extirper le sac en coton blanc. Dans sa main, l'étui lesté de son contenu était lourd et déplaisant. Presque inquiétant. Thomas le fixa et déglutit. Les battements de son cœur accélérèrent à l'unisson avec ses pensées. L'appréhension et l'excitation se mêlèrent et une douleur soudaine envahit sa poitrine et son crâne. Pourquoi flancher ? Parce qu'il allait à l'encontre de tous ses principes vitaux de prudence.

L'étui tremblotait dans le creux de sa main. Calmer son anxiété. Il inspira profondément, ses jambes le soutenaient à peine. La perspective de ce qui l'attendait le rendait fébrile. Peut-être devait-il s'asseoir ?

Putain ! Il n'était qu'un pauvre trouillard.

Allait-il franchir le pas ? Tout ce qu'il savait était qu'il ne voulait pas se taper les courses et le lavomatique. Et puis, c'était un test simple : un aller-retour en voiture, rien de bien compliqué. Il s'installa à son bureau et plongea sa main dans la petite sacoche pour en sortir le carnet, qu'il posa sur la tablette en mélaminé du bureau, et glissa à nouveau sa main dans le sac. Ses doigts se refermèrent sur la montre, le contact du métal glacé sur sa peau le répugna. Allez ! Il sortit l'objet, cercle d'argent et de verre, triomphant dans la paume moite de Thomas. Le jeune homme, méfiant, le contemplait, jouant avec la lumière sur la surface aux courbes lisses et gravées.

Tom se surprit à sourire au souvenir du fameux soir où il avait découvert la montre. Et le visage d'une Agathe, tour à tour paniquée et hilare dans l'obscurité, lui revint en mémoire. Ses grands yeux rieurs sous sa mèche épaisse, sa bouche appétissante... Tom se demandait s'il ne commençait pas à éprouver de l'attirance pour la jeune femme : oui, indéniablement ! Mais aussi à avoir le béguin.

Elle lui plaisait ! Point.

Malheureusement, il y avait peu de chance que ce soit réciproque, car il se sentait ridicule en sa présence, stupide, sur la défensive, simplement parce qu'il ne savait pas comment réagir avec les filles en général. Oserait-il lui avouer ses sentiments ? Il en était incapable, il le savait.

Douce et étonnante Agathe. Exaspérante mais tellement attachante.

Puis il réfléchit – pourquoi se dévoilerait-il ?! – et bondit : au risque de se faire humilier par la jeune femme et qu'elle gâche son avenir ?! À quoi bon ? Il se consacrerait à sa vie sentimentale une fois son diplôme en poche et son futur assuré.

Le plus dur serait de faire abstraction de ses sentiments pour la jeune femme.

Bon ! Pour l'heure, il ne pouvait pas faire abstraction de son tas de linge et des placards vides. Impossible de continuer à réviser de toute façon, car les leçons du jour lui rappelaient de mauvais souvenirs, et question « futur » il voulait expédier ses corvées. Avec l'aide de la montre ? Cela exigeait de la discipline et de la méthode : reprendre son carnet et exécuter chaque étape, une à une, pour arriver au résultat escompté. OK ! Faisons cela ! Décidé, il posa la montre et reprit son journal. Exécutant ses instructions : « tirer sur la molette » et « la tourner », il observa les aiguilles courir sur le cadran, l'une dépassant l'autre. Une heure, deux heures.

Tom retint sa respiration tandis que l'air semblait se densifier autour de lui, opaque, crissant comme le givre sur le pare-brise d'une voiture. Et tout prit une dimension étrange : une autre réalité se superposa au présent et il eut une vision de lui effectuant des achats en ligne, articles qu'il irait chercher au drive du commerce tout proche. Puis le temps s'accéléra. Son double en filigrane se leva, prit son panier de linge sale et traversa la chambre, le couloir, la maison en direction de la voiture puis du centre commercial. La voiture fit un crochet par la lavomatique installé sur le parking de l'hypermarché, son double déposa ses vêtements dans le tambour de la machine, et en route pour la borne du drive où l'hôtesse chargea les courses dans le coffre. Accélération. Retour devant le lavomatique. Attendre la fin du cycle de lavage, de séchage. Accélération. De nouveau dans la voiture. Le trajet se passait si vite que Thomas en avait le vertige. Un tourbillon l'emportait, dans lequel il crut reconnaître Manon, assise sur le siège passager d'un véhicule qu'il venait de croiser. À la place du conducteur : Baptiste !

En un instant, il était devant la maison. Une autre voiture y était garée, celle de la propriétaire. Alors, de nouveau dans sa chambre, il appuya sur la mollette et le temps se figea pour reprendre son cours normal. Aussitôt expédié dans le présent, Tom fut propulsé en avant ; titubant, il atterrit sur les genoux. Hébété, recouvrant ses esprits. La montre dans le creux de sa main tremblante. Avec une seule pensée : était-ce Manon qu'il avait vue dans cette voiture ? Tout était allé si vite. Tremblant, à bout de souffle, il porta sa main libre à son front. Cette migraine l'empêchait de réfléchir, de se concentrer pour se souvenir. Puis il se rendit soudain compte que le bruit provenait du rez-de-chaussée et non de l'intérieur de son crâne.

Il se redressa, prenant appui sur le rebord du lit près duquel il était tombé, et s'y laissa choir. Chaque voyage temporel semblait l'épuiser.

Une oreille tendue, il écoutait ce qu'il se passait à l'étage du-dessous. La propriétaire était rentrée, comme elle lui avait dit, mais ne semblait pas de bonne humeur. Elle hurlait. Après quoi ? Ou qui ? La vieille dame était également sortie des urgences ? Thomas entendit un fracas : des bruits d'objets que l'on brise ? En se concentrant, il aurait pu saisir le sens de ces cris. Mais pourquoi subir l'agressivité des autres ? Tom préférait s'en préserver : à chacun ses soucis ; lui avait les siens !

D'un pas mal assuré, il se leva, se dirigea vers son portable, rangé dans la poche de sa veste, et prit son casque posé sur la table de chevet. S'isoler du bruit et se couper du monde : allongé sur le lit, écouteurs sur les oreilles avec la musique à fond, voilà ce qu'il allait faire. 

L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Where stories live. Discover now