Chapitre 8

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Manon

La voiture garée sur le parking nord du Campus, Thomas remonta l'allée de graviers rouges vers les quatre bâtiments de béton et de verre. Le vent d'octobre caressait les feuilles des bouleaux qui ornaient les grandes étendues de pelouses, encore vertes, sur lesquelles les étudiantes aimaient se prélassaient entre chaque intercours. Et,lorsque les nuages ne s'interposaient pas, le soleil dardait ses aiguillons sur les peaux dénudées. Un dernier goût d'été. Il faisait beau, même chaud, un temps à paresser... Non ! Il n'était pas là pour ça. Tom retira sa veste et la jeta sur son épaule, arpentant le sentier comme en terrain conquis, avec pourtant un sentiment doux amer, teinté d'assurance et de frustration. Partout où il posait, des jeunes gens occupés à discuter ! Il dépassa le premier bâtiment pour se diriger vers la bibliothèque, et un groupe d'étudiants le croisa, tous en grande discussion. À croire qu'il était le seul à se noyer dans cette marée humaine. Seul ! Incapable de survivre dans ce milieu devenu hostile... Il tourna à droite et entra dans l'ombre du bâtiment C, pour arriver vers l'escalier. Un frisson parcourut la peau de ses avant-bras, dressant les poils, et remonta vers sa nuque. Sans soleil pour balayer les assauts de l'automne,le froid commençait à se faire sentir. D'un geste preste, il enfila sa veste,tout en montant les premières marches, lorsqu'un éclat de rire l'arrêta dans son élan. Il se raidit. Ce rire !Pivotant sur lui-même, les yeux balayant à 180° degrés à la ronde, et se figea. Elle était là ! Assise sur l'herbe :Manon !    Avec d'autres filles. Et trop près d'elle, ce gars ! C'était qui ? Putain ! Une bouffée de jalousie enflamma ses veines et Thomas sentit son crâne exploser sous la pression. BAM, BAM !

Manon gloussait ; les autres filles l'imitaient, toutes en pâmoison devant ce bellâtre, ce coq !... Et elle... Cette catin ! Le trompait-elle déjà avec ce type avant leur rupture ? Argh ! La haine battait ses tempes et semblait l'étouffer. Une main fébrile rabattit les mèches brunes qui dansaient devant ses yeux et Thomas déglutit avec peine, alors que le coq de basse-cour se levait, collé de près par une fille typée méditerranéenne qui lui prit la main, entremêlant ses doigts à ceux du bellâtre. Et la volée de pies jacasses, mues par un même mouvement, bondit à leur suite puis se dispersât.

Thomas les regarda s'éloigner, soulagé mais honteux d'avoir pu penser que Manon le trompait durant leur relation. Pourquoi pas, après tout ?! Car, la connaissait-il vraiment ?... De tout façon, quelle importance, puisqu'ils étaient séparés !... Alors pourquoi voir son ex-fiancée en compagnie d'un autre homme le touchait-il autant ?

Un tourbillon de pensées absurdes l'envahit : jalousie, sentiment de propriété, d'instants volés... Comme si on violait son intimité. D'être devenu spectateur ! Paria dans cette société qui l'avait adulé... porté aux nues et dont il ne faisait plus partie. Il se sentait diminué... si insignifiant qu'il en était devenu invisible.

Il asphyxiait. Était-ce la jalousie ? Ou le fait que Manon riait, rayonnait, continuait de voir ses amis, sans lui ; comme s'il n'avait jamais existé, alors que lui !... Leur rupture l'avait détruit, soufflé... ne laissant de son être que des ruines dont les derniers vestiges venaient d'être pulvérisés.

S'aidant de la rampe, il pivota et gravit les dernières marches vers l'entrée de la bibliothèque. Il devait se reprendre... Faire ce pour quoi il était venu ! Ce pour quoi il était le plus doué : étudier ! Et leur montrer de quoi il était capable ! Se relever. Et réussir !




Assis à l'une des tables du BCU °Bibliothèque du Centre Universitaire°, les coudes sur le bureau et la tête dans ses mains, Thomas avait du mal à redescendre de sa colère. Penché au-dessus de ses cours de Droits, ses pensées tournaient autour de Manon, de leurs souvenirs, de leur histoire d'amour, de son futur gâché. Et il fulminait. Incapable de déchiffrer quoique ce fût de plus sur les photocopies annotées, aussitôt raturées. Il avait pourtant surligné quelques phrases, de couleurs diverses. Mais tout devint très vite confus. Flou. Disparaissant devant ses yeux hagards.

Il devait se ressaisir. Laisser cet épisode derrière lui et se concentrer sur le présent. Sur lui-même. Sur son avenir. 


Il se redressa et relut le premier paragraphe. Comment avait-il pu passer à côté de ces notions ? Certes, il y avait beaucoup, beaucoup de choses à ingurgiter, mais pourtant il s'enorgueillissait d'avoir une bonne mémoire. Alors, cet échec ! Il s'en voulait... et comprenait maintenant pourquoi il avait été recalé. Lui, le perfectionniste ! Il déplorait son manque d'assiduité et devait y remédier. Promis ! Mais pas aujourd'hui. Tout son être, ses idées, son cœur étaient ailleurs. Rongés par la jalousie. Vibrante. Bouillonnante. Focalisés sur la vision de Manon avec un autre homme. Elle l'avait trompé. C'était évidant. Pas possible d'être aussi con ?!

— Abruti !

Des visages aux regards furieux se tournèrent vers lui. Bordel ! Allez tous vous faire foutre ! Il ramassa ses papiers, se maudissant de ne pas avoir récupéré son ordinateur portable dans son ancien appartement, avec sa clé USB et tous ses cours, fourra toutes ses affaires dans son sac à dos et se précipita ver la sortie. Envahi par ses pensées néfastes, il traversa la FAC vers le parking et entra dans sa petite Peugeot. Épuisé, abattu. Son corps, son esprit semblaient vides.

Automate conditionné, il mit la clé dans le contact et démarra, et le trajet vers sa chambre de « bonne » passa telle une fulgurance, un trou noir. Machinal, inconscient. Arrivé dans sa chambre, il s'écroula sur le lit, incapable de réfléchir ou de bouger. Perdu. Déprogrammé. Déséquilibré. Son monde... Sa routine venait de s'effondrer, et il en ressortait essoufflé. Sans parvenir à retrouver un rythme.Comme un sportif qui manquait d'entraînement. 


Était-il si difficile de se reconstruire ? 



Lorsqu'il se réveilla, le crépuscule avait englouti cette journée et, avec elle, ses doutes, ses espérances, ses certitudes. Il avait de nouveau l'appétit de réussir, de prouver à Manon et les autres qu'ils avaient tort, de se prouver à lui-même qu'il était capable. Il y arriverait. Avec acharnement ! Il reprit ses notes, mais son estomac le ramena à la réalité. Implacable et brutale. Il avait faim ! Besoins primitifs et irrécusables auxquels il devait se plier. Il se leva et fouilla dans le frigo à la recherche d'un yaourt puis, sépara une banane du régime disposé dans une corbeille trônant sur le plan de travail, et replongea dans ses fiches.

Le spectacle qu'offraient la lumière déclinante et ses rayons rougeoyants au-travers des branches, presque nues, du frêne qui bordait la maison voisine n'eut aucun effet sur lui. Ce ne fut que lorsqu'un bruit s'éleva qu'il émergea de ses notes, redressant la tête comme subitement réveillé, redécouvrant la chambre qui l'entourait et s'attardant sur les ombres qui dansaient sur le mur face à lui. Les nuages de ce coucher de soleil l'émurent à peine, tant il était focalisé, presque agacé, par le bruit. Ce foutu bruit ! Y s'passait quoi, en bas ?!  Aucune envie d'élucider ce mystère ce soir. Il prit son portable et y brancha un casque pour s'isoler, traversant les minutes et les heures, sans se soucier des événements qui se déroulaient par-delà sa forteresse.

La fatigue, ajouté au bruit, l'irritèrent, bourdonnèrent, palpitèrent dans son crâne. Envahissant sa gorge, ses poumons au point de l'asphyxier. Il avait l'impression que le son enfler, assourdissant. Et rien pour soulager sa migraine ! Le vrombissement, pourtant murmures feutrés par la musique, devint vacarme. Argh ! Au point que sa vision se troubla en ondulations colorées. Il posa ses paumes sur ses paupières closes et la fraîcheur de ses mains apaisa un peu le feu derrière ses prunelles. À peine soulagé, le sommeil semblait le gagner ; ses paupières étaient lourdes. Son cerveau en étau. Il n'arriverait à rien ! Déçu et fatigué, il posa ses notes et s'étendit sur le lit, sa playlist en sourdine dans ses écouteurs.


L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant