Chapitre 21

17 1 0
                                    


Dubitatif 

En bas, le cortège de tenues bleues des secouristes continuait, inlassable. Dans le couloir, on s'agitait.

— Viens.

Tom avança vers la chambre d'Agathe, avec un regard interrogateur.

— Ne te fais pas d'illusion, j'ai juste besoin de m'allonger et, comme je vois que ce qui se passe dehors t'intéresse au plus haut point, et que ma chambre a une fenêtre qui donne sur la rue...

Puis, voyant que Thomas s'approchait dangereusement de l'interrupteur, la jeune femme s'exclama, sourire aux lèvres et agitant les mains :

— Non, non ! N'allume pas la lumière. Tu vas te faire repérer. Vraiment, tu s'rais pitoyable, comme détective.

Thomas haussa les épaules avec dédain, tandis qu'Agathe se jetait sur son lit situé contre le mur près de la fenêtre donnant sur la rue, et s'installa sur le ventre, genoux pliés, agitant les pieds avec désinvolture.

Comme une gamine qu'elle est ! pensa le jeune homme, et il s'enfonça plus avant dans la pièce, ses yeux errant autour de lui : la lumière des réverbères pénétrait dans la chambre en une large bande vibrante et dorée, éclairant un seul pan de mur au vieux papier peint fleuri rose et beige, aux couleurs passées. La luminosité s'estompait progressivement et le reste de la pièce était plongé dans l'obscurité, si bien que Thomas distinguait à peine le sol fait d'un parquet identique à celui de sa chambre, et encore moins les meubles, semblables à des masses sombres se fondant dans les murs tout aussi noirs.

Son regard fut vite happé par le grand rectangle vitré par lequel l'éclairage artificiel filtrait ;Thomas écarta légèrement le rideau : l'ambulance était garée dans la rue face à la chambre d'Agathe, les secouristes avaient quitté le couloir et investi la rue. La jeune femme, ses coudes calés sur le matelas, menton posé au creux de ses paumes, leva les yeux vers Tom et lui demanda :

— Alors ? Tu vois quoi ?

Un des secouristes poussait un brancard sur lequel la mère de la propriétaire était allongée, un masque sur le nez. Arrivé tout contre le rebord de l'ambulance aux portes arrière ouvertes, le secouriste appuya de la pointe du pied sur une manette au bas du brancard, et les roues s'escamotèrent, pour permettre à la civière de pénétrer dans le véhicule ; avec une légère impulsion et quelques mouvements précis, certainement maintes fois répétés, le brancard venait d'être transféré à l'intérieur de l'ambulance.

— Les pompiers amènent la vieille dame, répondit-il.

Tom lança un coup d'œil à la sexagénaire qui semblait négocier avec l'un des pompiers pour accompagner sa mère dans le véhicule de secours.

— Tu fais quoi ce week-end, s'enquit soudain Agathe.

Thomas pivota vers elle : la jeune femme, assise en tailleur sur son lit, fixait maintenant intensément le jeune homme de ses yeux couleurs d'automne.Que cherchait-elle à faire ? À le déstabiliser ?

— Je révise, dit-il d'un ton abrupt.

— Ici ?

— Oui.

— Hiiinnn ! fit-elle d'une voix nasillarde, imitant le bruit d'un buzzer. Mauvaise idée. Mais bon... C'est toi qui vois.

— Pourquoi ? J'ai pas d'autre endroit où aller de toute façon.

— La proprio risque d'être à cran.

— Oh ! Ça ?! Je vais pas bouger de ma chambre, donc je ne la croiserai pas.

Dehors, debout sur le trottoir, sous la lumière des réverbères, la sexagénaire avait-elle senti qu'on l'observait ? Car elle venait de tourner son visage vers la maison, une main pointée vers la porte comme pour indiquer qu'elle voulait récupérer quelques affaires avant de laisser partir les secours vers l'hôpital, puis, mus par un instinct propre, ses yeux montèrent vers la fenêtre où se trouvait Tom. Le jeune homme sentit son regard se river au sien. Un frisson glacé le parcourut alors que les traits de la sexagénaire s'affaissaient, sidérés. Elle se ressaisit, leva une main à l'attention du pompier comme si elle demandait qu'on l'attende et se dirigea à grandes enjambées vers la ported'entrée. Thomas la vit gravir les marches du perron et disparaître de son champ de vision.

— Merde ! hoqueta-t-il en s'éloignant de l'encadrement de la fenêtre, comme s'il venait d'être pris en flagrant délit.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

— Elle vient par ici ! Je dois partir.

— Qui ?

Sans donner d'explication, il détala jusqu'à sa porte. Un tour de clé pour déverrouiller la serrure, il allait entrer dans la pièce lorsque la voix de la propriétaire se fit entendre :

— Que faisiez-vous dans cette chambre ?

Dans un sursaut, Tom fit volte-face, son cerveau cogitant à cent à l'heure pour trouver une réplique satisfaisante, et une réflexion surgit dans sa tête quant au point de vue réprobateur de la propriétaire vis-à-vis du flirt entre colocataires – rapport aux nuisances sonores, probablement –, alors il lança avec aplomb :

— Il ne se passera jamais rien sous votre toit, je vous rassure.

« Ça risque pas ! » pensa-t-il.

La sexagénaire lui décocha un regard désappointé, puis ses yeux se posèrent loin, au-delà de la balustrade, vers le rez-de-chaussée :

— Bref ! Comme vous l'avez remarqué... Je dois m'absenter, cette nuit et une bonne partie de la journée de demain. Veillez à ce que la porte d'entrée reste fermée et retirez la clé. Qu'il n'y ait pas d'incidents ! Et personne d'autre que vous dans la maison ! N'ayez pas l'idée d'inviter une fille ou des amis !

— Ce n'est pas mon intention.

Il la salua puis entra dans sa chambre sans rien ajouter et verrouilla la porte derrière lui. Après quelques pas dans la pièce, le regard flou et l'esprit plongé dans ses pensées, il secoua la tête comme pour évacuer les idées stupides qui l'assaillaient : « Quel étrange personnage, cette Agathe ? Et pourquoi sa chambre ne ressemble en rien à la mienne ? Un papier peint défraîchi, des vieux meubles... et quoi d'autre ? » De ce qu'il en avait vu, pas grand-chose à vrai dire ! Pff ! Question saugrenue. La rénovation coûtait chère et Thomas avait pu constater que la propriétaire ne roulait pas sur l'or. Alors, il était possible qu'elle n'ait rénové qu'une seule pièce. Devait-il pour autant culpabiliser d'avoir la meilleure des chambres ? Non ! Puisqu'Agathe était arrivée avant lui. « Si elle avait vraiment voulu, elle aurait choisi celle-ci ! » Il s'en moquait, après tout, ce n'était pas ses oignons, il avait bien d'autres chats à fouetter. Comme ses études et son planning à tenir, par exemple.

Quelle heure était-il ?

Thomas jeta un coup d'œil à l'affichage digital du micro-onde. 19 : 27. Merde ! Déjà.

Il était l'heure de se préparer un bon repas : une soupe de lentilles pour le magnésium et le fer et une salade de fruits myrtilles-raisins pour les antioxydants. Rien que du carburant pour l'esprit !

Avec précision, il passa du frigo aux placards ; et avec la même minutie, il installa la table, couteau et fourchette à droite, serviette pliée sous les couverts, verre à gauche de l'assiette creuse. Rien d'imprévu, rien de hasardeux. Stabilité et organisation jusque dans son repas choisi pour les apports nutritionnels sensés lui apporter le tonus cérébral nécessaire et booster son cerveau.

Son souper terminé, il poursuit son petit rituel : débarrasser la table, faire la vaisselle puis la ranger de suite dans le placard où étaient alignées une rangée de verres, et une pile d'assiettes, stables, ordonnées, bien droites.

Maintenant, que pouvait-il faire un vendredi, à 20 : 45 ?

Comme tous les autres soirs de la semaine : regarder des vidéos sur son portable, ensuite relire un peu ses cours et dormir. 

L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Where stories live. Discover now