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Deux ans plus tôt.

Juin 2174.

C'était un cabinet d'architecte chinois qui avait conçu l'astroport de Séréna, et on y retrouvait le gigantisme spectaculaire propre aux régimes communistes. La baie vitrée concave du hall, haute de quinze mètres, avait été pensée pour émerveiller le voyageur débarquant pour la première fois sur la planète. Elle ouvrait la vue sur les quatre tours d'atterrissage – hautes lances de béton pointant jusqu'aux nuages, altitude à laquelle les aéronefs les accostaient, avant d'être descendus au sol par des monte-charges. Les sondes du contrôle aérien bourdonnaient par milliers autour des infrastructures, comme un essaim de guêpes monstrueuses autour d'herbes géantes.

Comparativement, les vaisseaux étaient peu nombreux. Il s'agissait principalement de transport de fret lié à l'activité économique de la planète, de quelques vols commerciaux internes, et d'un nombre marginal de vols interplanétaires, en provenance – ou en direction – de la Terre, Mars ou Titan.

Comme bien d'autres avant lui, Denoël se tordit le cou pour contempler le spectacle, magnifié par le ciel clair de la période estivale. Il en perdit la notion du temps et, lorsqu'il jeta un coup d'œil à sa montre, un quart d'heure s'était écoulé. Il se retourna pour constater que Lula n'était toujours pas là. Il revint sur ses pas vers le bureau des douanes pour voir ce qu'il se passait.

En arrivant, il vit que sa stagiaire était toujours au guichet, en train d'engueuler l'agent. Il lui fit signe de derrière la banderole délimitant la zone de sécurité.

— Vous vous en sortez ? demanda-t-il. Parce que je vous attends.

— Ce n'est pas de ma faute : cet idiot est incapable d'écrire correctement mon nom pour l'identification informatique. Estúpido ! Ce n'est pourtant pas compliqué : Luiza Maria Roberta Fontana Dos Santos, citoyenne brésilienne.

Elle agita son passeport devant le douanier et reprit :

— Je vais vous l'épeler : L-U-I...

Denoël soupira. C'était typiquement le genre de Lula de s'en prendre aux agents de la force publique, et plus largement aux gens plus forts qu'elle, sans penser aux conséquences. Le pire, c'est que ça passait. Du moins, la plupart du temps.

Il rebroussa chemin pour attendre dans le hall abondamment pourvu en fauteuils, presque tous inoccupés. Au passage, il s'arrêta devant un présentoir proposant des plaquettes informatives sur la planète. En farfouillant un peu, il finit par en trouver une en français.

Bien qu'il soit évidemment parfaitement bilingue, il aimait, aussi souvent que possible, utiliser sa langue natale. Pratiquer la langue de Molière lui procurait un réel plaisir, car il n'en avait jamais l'occasion chez Astropol, qui, comme toutes les instances internationales, n'utilisait que l'anglais comme langue officielle.

Il avait bien quelques amis francophones à Manhattan, mais il ne les voyait que trop peu.

Il s'assit dans un siège jouxtant la baie gigantesque et se sentit immédiatement planer. Le dossier et l'assise étaient composés de plusieurs coussins montés sur vérins robotisés, qui soulevaient le corps plus qu'ils ne le soutenaient. D'où une agréable impression de flottement.

Pour augmenter encore la sensation de bien-être, il desserra sa cravate.

Il était habillé de manière très stricte – costume sombre, chemise blanche et cravate bordeaux. Cela ne lui plaisait guère. Il aurait préféré un style plus décontracté – jeans, t-shirt, baskets – mais dans son métier, il avait remarqué qu'un habillement formel lui faisait gagner en crédibilité face à ses interlocuteurs.

Si seulement Lula pouvait faire pareil... songea-t-il.

Jetant un coup d'œil du côté du guichet, il constata qu'elle n'arrivait toujours pas. Qu'à cela ne tienne : il se lova dans le fauteuil, fit craquer ses orteils pour se décontracter et commença la lecture de la brochure.

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNEROnde histórias criam vida. Descubra agora