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Encore une journée avec de la paperasse par-dessus la tête.

Après son coup d'éclat sur le lieu de l'attentat, son patron avait traîné Lula au tribunal de Séréna Ville pour consulter les fichiers bancaires saisis par le juge Cornwell qui avait délivré le mandat. Aidés d'un spécialiste de la fraude fiscale, ils avaient étudié un à un la totalité des détournements qu'ils supposaient avoir été effectués par mademoiselle Lloyd. Le but était de comprendre comment elle avait pu aussi longtemps tromper la vigilance des comptables de l'entreprise.

Cela leur avait pris des heures et Lula avait cru qu'elle allait mourir d'ennui, à tel point qu'à plusieurs reprises, elle avait été tentée de bondir de sa chaise pour hurler sa frustration.

Le fonctionnaire qu'on leur avait assigné pour les seconder était technocratique jusque dans sa calvitie, jovial comme une porte de prison, et sa cravate bordeaux terne tirant sur le gris donnait envie à la jeune femme de lui décocher une gifle pour outrage au bon goût.

Finalement, ils arrivèrent à bout de la besogne et ils purent souffler un peu.

— Comme quoi, l'ordinateur ne pas tout faire « en quelques minutes », plaisanta Denoël en citant son assistante.

— Le logiciel peut relever tous les virements que nous aurons définis comme « suspects », en revanche, il ne peut pas déduire par lui-même le montage financier qui sous-tend le système.

— Ce qui me fait dire que nous aurons encore longtemps besoin de vrais policiers. Bien. Faisons le bilan de ce que nous avons appris. Votre avis ?

Il s'était adressé au technocrate.

— Le montage est astucieux. Des milliers de petits prélèvements dispersés sur des centaines de comptes, tous justifiés par des fausses factures... Si vous n'étiez pas venu fourrer votre nez dedans en sachant exactement ce que vous cherchiez, elle aurait pu continuer à berner son monde encore longtemps.

— Une personne seule peut-elle mettre en place un tel système ?

— Ce n'est pas évident, mais avec un programme informatique pirate ad hoc qui générerait automatiquement des factures falsifiées, pourquoi pas ?

— Je vois. Lula, que déduisez-vous de ce que nous avons appris aujourd'hui ?

— Je pense qu'on peut relier les événements entre eux et échafauder une hypothèse qui explique la totalité de l'histoire.

— Je vous écoute.

— Je suppose que Kosloff avait découvert, d'une manière ou d'une autre, que Yoon faisait partie du GDS, et qu'il s'était mis à le faire chanter. Ce dernier, pour payer le docteur, a demandé à mademoiselle Lloyd, un autre membre du groupe, d'utiliser ses accès aux comptes pour détourner les sommes nécessaires. Jusqu'à ce qu'ils en aient marre – ou que la crainte d'être pris l'emporte – et qu'ils décident de se débarrasser du scientifique. La secrétaire, dont il ignorait qu'elle était dans le coup, l'a alors séduit pour se rapprocher de lui. Elle est devenue sa maîtresse et quand elle a jugé le moment opportun : elle l'a tué.

— Puis, poursuivit son boss, elle a fait disparaître l'ordinateur de sa victime, qui contenait probablement les preuves de leur implication à Yoon et elle. En revanche, elle n'a pas imaginé que le docteur avait peut-être enregistré des copies ailleurs.

— Ce n'est pas très malin, remarqua Lula.

— Certes. Mais nous n'avons pas à faire à une grande criminelle. Elle a très bien pu paniquer, tout simplement.

— Toujours est-il que, lorsque vous avez découvert la puce dissimulée dans la dent de Kosloff, vous avez immédiatement prévenu... Yoon ! qui a compris le danger les menaçant lui et sa complice et a organisé notre enlèvement et la tentative d'assassinat dont nous avons réchappé de justesse.

— Bravo, ma chère. Nous avons songé à la même hypothèse. Je vois que mes leçons ont porté leurs fruits.

— Merci. Mais si je me souviens bien de ce que vous m'avez appris, il nous manque encore quelque chose d'essentiel : des preuves. Car, pour l'instant, nous n'avons que des suppositions. C'est bien fragile.

— Nous en trouverons... dès que nous aurons mis la main sur mademoiselle Lloyd ou le poseur de bombe. C'est désormais notre premier objectif.

— Et comment va-t-on s'y prendre ?

— Je ne sais pas encore. Mais ce n'est qu'une question de temps : tant que la circulation spatiale est suspendue, ils sont bloqués à Séréna Ville. Ils ne pourront pas se cacher indéfiniment.

— Rien n'empêche qu'ils quittent l'agglomération pour aller en forêt.

— Et comment y survivraient-ils ?

— Si le GDS est si structuré, il peut très bien avoir des camps de guérilleros dans les bois.

— Euh... C'est un peu...

— Quoi ? Tiré par les cheveux ? Je viens d'Amérique Latine, une région où c'est très courant, au contraire.

— Admettons...

— De toute façon, ils n'auront pas besoin de se planquer éternellement. Le trafic avec la Terre finira par être rétabli sans doute assez vite, étant donné les intérêts économiques en jeu.

Denoël fut soudain exaspéré en voyant son beau plan mis à mal.

— Oui, oui, bon... dit-il en balançant sa main. Raison de plus pour faire vite. Ce qui m'inquiète le plus, c'est la puissance de nos ennemis. Pour être au courant avant tout le monde des découvertes du juge, ils doivent avoir des espions infiltrés au plus haut niveau dans l'administration.

— Dans ce cas, demanda Lula, que pouvons-nous faire pour les arrêter ?

— Je me le demande...

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNERWhere stories live. Discover now