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De la pièce attenante, Denoël observait la salle d'interrogatoire désormais vide. Miller et Lavoie étaient allés conduire Lula en cellule ; il ne restait que Di Benedetto et lui.

— Je suis désolé pour votre femme, dit l'italien. Je ne savais pas.

— Ce n'est pas quelque chose dont j'aime parler.

— Je comprends.

Ne sachant que dire d'autre, l'homme d'affaires changea de sujet.

— Que va-t-il se passer à présent ? Nous tenons deux terroristes, mademoiselle Dos Santos et González, ce qui résout l'affaire de l'attentat mais ne nous apprend rien sur le meurtre d'Anatoli.

— Il va nous falloir remonter la piste à partir de ces deux-là et démanteler le réseau du GDS. Après, selon ce que ça nous apprend, nous aviserons.

Il se renfrogna. Les évènements récents l'avaient profondément ébranlé. Cela faisait beaucoup à encaisser, même pour un inspecteur aguerri comme lui.

— Je suis fatigué, dit-il d'un ton las. Je vais rentrer à mon hôtel. Vous direz à Miller qu'on se voit demain.

Et il sortit d'un pas traînant, pareil à un boxeur groggy.

Dans le taxi le ramenant vers l'hôtel, il avait changé d'avis et décidé qu'il avait besoin d'une cuite pour effacer les séquelles de la journée. Il avait demandé à l'ordinateur de bord de le conduire dans un bar. (« Pas cher », avait-il précisé, car les notes de frais des soirées arrosées étaient systématiquement rejetées par la comptabilité.)

Affalé au comptoir d'un pub irlandais avec une bouteille de whisky bas de gamme à la saveur âpre, Axel Denoël songeait avec regrets à son élève. Il n'en revenait pas qu'elle ait pu trahir ainsi l'institution à laquelle elle avait prêté serment. Il se dit surtout qu'elle allait lui manquer. Ils ne partageaient pas les mêmes sentiments, mais ils travaillaient ensemble depuis longtemps et il avait de l'affection pour elle.

Et puis elle avait raison sur un point, bien que cela lui coûte de le reconnaitre : l'accident était ancien à présent, il devait faire son deuil. Mais comment ? Comment oublier ?

Soudain, l'épuisement, le chagrin et l'alcool entraînèrent son âme dans les méandres du souvenir et il se retrouva sept ans auparavant.

C'est lui qui avait eu l'idée de passer des vacances au Sahara. La destination était en train de devenir à la mode mais n'était pas encore envahie de touristes. Roxane avait adoré l'idée. Fuir le bouillonnement de la métropole new-yorkaise pour le calme infini du désert ne pouvait que la séduire.

À Ouarzazate, ils avaient loué un skytruck tout équipé. L'appareil, gros comme un semi-remorque, était plus qu'une simple caravane. C'était un véritable appartement volant, équipé de tout le confort moderne. Il était programmé pour se rendre automatiquement en différents points du désert en suivant des itinéraires sécurisés pour les touristes.

Il aurait été dommage de croiser des groupes de bédouins rebelles ou des terroristes islamistes.

Bien que la machine soit entièrement automatique, on pouvait quand même adapter son périple. Comme ils avaient le temps, souvent, ils demandaient à l'ordinateur de voler en rase-motte, à la vitesse minimale. Le flanc gauche de l'engin s'ouvrait en une large baie vitrée depuis laquelle ils pouvaient alors admirer les dunes s'étendant sans fin.

Ils étaient comme seuls au monde, au milieu du grand vide.

Parfois, lorsque l'écran de contrôle indiquait une zone « tourist's security guaranteed », ils faisaient halte et sortaient au dehors. La chaleur les écrasait, et le soleil les faisait rôtir malgré leurs vêtements de protection, mais ils n'en avaient cure. Ils se posaient au sommet d'une dune et profitaient du calme.

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant