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En reprenant conscience, Denoël constata qu'il n'était plus dans un entrepôt et cela le réjouit presque, même s'il était toujours prisonnier.

En regardant autour de lui il vit qu'il se trouvait dans un lieu incongru : la forêt de Séréna.

Pourquoi m'a-t-on traîné ici ? s'interrogea-t-il. À quoi joue Lavoie ?

Il se releva et s'aperçut que son pied droit était entravé par une chaîne reliée à un arbre. Il tira dessus mais échoua à l'arracher. Normal, le basilumen – appelé aussi « le baobab de Séréna » – était fait d'un bois aussi dur que le béton. Impossible de s'y attaquer à mains nues, ça aurait été comme s'en prendre à un mur.

Il abandonna et observa les alentours.

La nuit était tombée mais on y voyait assez bien car la zone était balisée de multiples torches qui brûlaient en crépitant. Le lieu avait été aménagé artificiellement. Par qui ?

Où suis-je tombé ? Un camp secret du GDS qui nous aurait échappé ?

Si c'était le cas, ils avaient bien choisi car l'endroit était absolument magnifique.

La végétation de la planète offrait des particularités singulières. Les troncs des arbres arboraient des couleurs vives n'ayant rien à voir avec les bois terrestres. Celui du basilumen rayonnait de nuances de vert, de bleu, de violet ; les bosquets de siquirus brillaient d'un mélange chatoyant de pastels rouges et oranges. Et toute la flore était à l'avenant, donnant une étrange sensation psychédélique.

Une fois la surprise passée, la douleur le rattrapa. L'arrière de son crâne pulsait violemment là où l'adjoint de Miller avait frappé.

— Vous êtes réveillé ?

Il tourna la tête et aperçut Lavoie qui venait d'apparaître à sa droite.

— Comme vous pouvez le voir. Allez-vous m'expliquer ce qu'il se passe à la fin ? Vous êtes membre du GDS ?

— Pas tout à fait, même si je défends les sérènes... À mon corps défendant, cela dit.

— Qu'est-ce que ?...

— Chut. Attendez un peu, vous allez comprendre.

Le jeune homme montra du doigt les fourrés de siquirus. Denoël observa. Au début, il ne vit rien, mais, après quelques secondes, il constata que les feuilles bougeaient et bruissaient. Quelque chose s'agitait sous les branches.

Quelque chose qui approchait.

L'inspecteur fronça les yeux pour mieux distinguer malgré l'obscurité et il fut saisi d'effroi en voyant sortir de leur cachette une meute d'au moins cinquante sérènes.

L'entraînement de la police française, pas plus que celui des agents d'Astropol, ne prévoyaient des cours de survie en forêt. Denoël ignorait comment échapper à des bêtes sauvages, a fortiori en étant enchaîné. Il avait bien de vagues réminiscences de conseils entendus çà et là – principalement dans des documentaires télé – sur l'importance de ne pas se laisser intimider et il se souvenait avoir lu quelque part qu'en cas de face-à-face avec un lion il fallait lui donner des claques sur le museau pour lui montrer qui était le dominant.

Quelle blague ! avait-il pensé. Qui oserait faire ça, au risque de se faire bouffer la main ?

Privé de sortie et de moyen d'action, dans l'impossibilité de fuir, il ne pouvait qu'observer les bêtes s'approchant de lui avec leur dandinement caractéristique.

Elles n'avaient rien à voir avec celles qu'il avait l'habitude de fréquenter chez le médecin. À l'état sauvage, les sérènes était des animaux majestueux au pelage blanc soyeux, pourvus d'une tête effilée plantée de deux perles noires en guise d'yeux. Ils avançaient en s'appuyant sur leurs pattes avant, à la manière des gorilles, leur queue ondulant harmonieusement au rythme de leur pas.

Denoël recula jusqu'à ce que son dos touche l'arbre. Sa respiration se fit haletante ; il ne pouvait plus bouger, paralysé par la peur, tel un lapin face aux phares d'un skycar.

Les sérènes l'encerclèrent et l'un d'eux s'approcha de lui. Il se posta à un mètre de l'inspecteur et se redressa sur ses pattes arrière, tendant le cou et dressant ses longues oreilles. Denoël eut ainsi l'occasion de l'observer un peu mieux. Il remarqua alors un détail inédit.

L'animal portait de multiples bijoux artisanaux, pareils à ceux des tribus primitives d'Amazonie. Boucles d'oreille, colliers et bracelets faits de cordelette, de cailloux et de plumes. En regardant mieux les autres individus, il vit que certains étaient armés de lances.

Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Je rêve ou quoi ?

Lavoie, dont il avait presque oublié la présence, prit la parole :

— Donnez-lui votre main.

— Hein ? Ça va pas la tête ? Il n'en est pas...

Le jeune homme sortit une arme et la pointa sur l'inspecteur.

— Donnez-lui votre main. Vous n'avez rien à craindre.

— O.K., O.K. Puisqu'on ne me laisse pas le choix...

Il fit deux pas en avant et tendit lentement ses doigts agités d'un tremblement craintif. Le sérène les attrapa et, aussitôt, une voix résonna dans sa tête.

« Bonjour, monsieur Denoël. »

Il tressaillit et retira sa main.

— Recommencez, ordonna Lavoie.

L'inspecteur s'exécuta. La voix réapparue.

« Bonjour, monsieur Denoël. Il faut que nous parlions. »

— Que nous parlions ? Je ne peux...

— C'est de la télépathie, l'interrompit Lavoie. Inutile de parler à voix haute.

— Comment je fais, alors ?

— Parlez dans votre tête, il vous entendra.

— Ah...

Denoël se concentra et tenta de "penser" sa réponse.

« Je ne peux pas vous parler : vous êtes des animaux.

—Justement, c'est de cela dont nous devons discuter. »

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNERWhere stories live. Discover now