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Le sérène avait des yeux de rongeur, pourtant, une incroyable acuité transpirait de son regard. C'était quelque chose qu'on ne voyait pas chez les animaux. Et voilà qu'en plus il lui parlait, par télépathie, et dans sa langue natale, le français !

C'était une histoire de fou et Denoël se demanda s'il n'avait pas perdu la raison.

« Vous parlez ? Comment ?

— Nous avons appris, tout simplement.

—Et qu'est-ce que c'est que ces bijoux ? Ces lances ? Vous ne ressemblez pas à des animaux.

— Parce que nous n'en sommes pas. Nous sommes un peuple, une civilisation. Une « espèce intelligente », pour reprendre des termes humains que nous n'aimons pas car trop prétentieux à notre goût.

— Depuis quand ?

— Depuis toujours. En tout cas, depuis bien longtemps avant l'arrivée des êtres humains. Notre espèce est plus ancienne que la vôtre. Nous maîtrisions déjà l'écriture quand vos ancêtres n'étaient encore que des primates.

— Attendez, ce n'est pas possible... Cela fait presque quatre-vingt-dix ans que l'homme est sur Séréna ; si vous étiez ce que vous dites, nous serions au courant.

— Vos dirigeants savent. Vos chefs d'états, tout comme le conseil d'administration de serena therapeutics connaissent la vérité et la cachent depuis le début.

— De quoi parlez-vous ? Pourquoi feraient-ils cela ?

— Allons, monsieur Denoël... À votre avis ? Que ce serait-il passé si vos premiers explorateurs avaient annoncé avoir découvert une espèce intelligente ? »

Le sérène se tut pour lui laisser le temps de réfléchir.

Évidemment, la réponse tombait sous le sens. Si les sérènes avaient été considérés comme des êtres intelligents à l'égal de l'homme, personne n'aurait accepté qu'on les tue par millions pour soigner des humains. Pour les hommes, assassiner des bêtes était normal, mais si elles se révélaient avoir une âme, ça devenait un génocide.

Prenant conscience de l'extraordinaire pouvoir de guérisseur des extraterrestres et de l'intérêt qu'il y avait à les exploiter sans vergogne, les états pionniers de la conquête de Séréna avait très bien pu décider de passer l'information sous silence et construire un immense mensonge autour des sérènes.

Une histoire incroyable, mais qui avait l'avantage de répondre à plusieurs questions.

Tout d'abord, le secret unissant Worthington et Di Benedetto devenait évident ; tout comme l'emploi de mercenaires au Forest Center #1 – des paramilitaires grassement payés étant préférable à des civils pour maintenir l'omerta.

Et puis, cela donnait les raisons du traitement infligé aux sérènes. Il fallait les lobotomiser pour les empêcher de parler aux humains, sans quoi la vérité serait dévoilée.

L'inspecteur ne savait plus que croire. Il n'avait jamais apprécié les théories du complot, cependant, il était en train de converser avec un extraterrestre qu'il considérait quelques minutes auparavant comme une bête sauvage. À ce stade, n'importe quel récit pouvait paraître crédible.

« Alors, avez-vous compris les raisons du secret ?

— Il était nécessaire... Pour pouvoir vous exploiter...

— Exactement. »

Déformation professionnelle, Denoël reprit le fil de son enquête :

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNERWhere stories live. Discover now