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La foule des grands jours s'était amassée dans la salle de réunion du commissariat. Toutes les équipes qui avaient participé à la chasse aux terroristes – soit les trois-quarts des effectifs de police – étaient là, si bien que certains devaient rester debout, faute de chaises suffisantes.

Les quatre jours précédents avaient été consacrés à la traque des agents du GDS, contactés un par un grâce à la méthode découverte par Denoël et cueillis sans efforts. L'opération avait été d'une redoutable efficacité et, aujourd'hui, Miller les avaient convoqués pour faire le bilan.

— Très bien, commença-t-il, je vous annonce dès maintenant la bonne nouvelle : nous avons arrêté la totalité des membres du GDS présents sur Séréna.

Un tonnerre d'applaudissement monta de la salle de la part des agents de police, fiers d'avoir rempli leur devoir et remporté une victoire décisive.

— Il y a en tout vingt et une personnes et, comme nous le soupçonnions au départ, elles sont loin d'être des terroristes professionnels. Ce sont de petits activistes et des casseurs. Certains savent fabriquer des bombes parce qu'ils ont regardé sur internet. Lorsque mademoiselle Dos Santos a infiltré le réseau, ils ont saisi l'occasion de mener une opération coup de poing, c'est tout.

— Une opération qui a fait trois morts, fit remarquer quelqu'un. Ça en fait plus que des simples militants.

— D'après les témoignages concordants que nous avons recueillis auprès des prévenus, c'était un accident. Ils voulaient juste détruire du matériel et pensaient que le laboratoire serait vide.

— Preuve qu'on ne s'improvise pas poseur de bombe, dit Denoël.

— En effet. Pour conclure, nous sommes en communication avec les autorités sur Terre, qui s'occupent de démanteler le GDS là-bas.

Un agent leva la main, Miller lui donna la parole.

— Qui se charge de l'enquête terrienne ? Pas Astropol, j'espère ?

La question n'était pas anodine, elle visait directement Denoël.

Ce dernier s'était attiré pas mal de rancœur des équipes de Miller, qui n'appréciaient pas le mépris qu'il leur témoignait au motif qu'il appartenait à une agence internationale alors qu'ils n'étaient que des flics locaux. Mais l'affaire Lula avait sérieusement discrédité Astropol et les policiers n'hésitaient plus désormais à exprimer ouvertement leur animosité par des piques et des remarques désobligeantes.

— Rassurez-vous, répondit le commissaire, chaque pays travaillera sur son territoire avec sa propre police...

— La police locale, c'est mieux, balança quelqu'un au fond de la salle.

— ... et les actions seront coordonnées par l'ONU qui, par ailleurs, a lancé une enquête au sein d'Astropol visant à identifier d'éventuels espions infiltrés.

L'agent assis en face de Denoël, un scandinave répondant au nom de Marcus Ljungström, se pencha en avant et, perfide, lui glissa :

— Et vous, inspecteur, qu'est-ce qui nous garantit que vous n'êtes pas un terroriste ?

Denoël répondit du tac-au-tac :

— Rien. Toutefois, je suis actuellement le seul représentant d'Astropol sur Séréna, donc, si une autre bombe explose, vous aurez votre réponse.

Provocation volontaire, mais à ce stade, il était contraint de jeter ses derniers atouts dans la partie en espérant reprendre la main.

— Je vous rappelle que je n'ai toujours pas été relevé de mes fonctions. Je suis donc encore le patron en ce qui concerne l'enquête Kosloff. Toute désobéissance sera considérée comme de l'insubordination et punie comme telle. Et si l'un d'entre vous me manque encore de respect, je l'inculpe pour outrage.

Silence de mort dans l'assistance. La tension était à son maximum mais personne n'oserait risquer sa carrière en s'en prenant à un agent de l'ONU. Qu'importe les raisons, les autorités détestaient qu'on les bafoue.

— Et maintenant, ajouta l'inspecteur, je vais reprendre la direction de la réunion.

Miller en resta médusé.

Denoël s'était levé et attendait qu'il lui cède sa place, le jaugeant avec sévérité pour voir s'il oserait défier son autorité. Le combat de coq dura quelques secondes, jusqu'à ce que le commissaire rende les armes, conscient qu'il n'avait pas le choix. Il s'écarta et l'inspecteur vint se placer devant lui. Humiliation suprême devant l'ensemble de ses troupes.

Comme si de rien n'était, l'agent d'Astropol reprit la parole.

— Puisque nous avons résolu la question des attentats, nous allons revenir à notre affaire initiale : qui a tué le docteur Anatoli Kosloff ?

— Nous sommes sûr que le GDS n'y est pour rien ? demanda Lavoie, le seul qui montrait encore un peu de sympathie à l'endroit de Denoël.

— Certain. Les deux affaires ne sont pas liées. Nous nous sommes fourvoyés. Raison de plus pour faire le point. Donc...

Il sortit son smartphone de sa poche et commença à compulser ses notes.

— Ce dont nous sommes à peu près sûrs pour l'instant c'est que le Dr Kosloff faisait chanter quelqu'un et que Yoon Woo-Sung, le chef de la sécurité de serena therapeutics, ainsi que mademoiselle Lloyd, la secrétaire du P-DG, sont liés à l'affaire. Cette dernière est toujours en cavale, la retrouver devient notre priorité numéro un.

— Toutes nos équipes travaillent dessus, grogna Miller.

— Quels résultats ?

— Elle est introuvable. Pour réussir à nous échapper ainsi, elle doit bénéficier de complicités.

— Ce qui signifie que nous sommes loin d'avoir élucidé le mystère.

— J'ai appris en outre que le trafic aérien allait bientôt reprendre. L'ONU a donné son accord : c'est pour demain.

— Je vois.

Denoël tâchait d'apparaître stoïque, mais en son for intérieur c'était la tempête.

Toute cette histoire était un lamentable fiasco.

Certes, il avait fait tomber un réseau terroriste, mais c'était un pur accident. Pour le reste...

Il avait failli être tué par Yoon et ne devait son salut qu'à l'intervention de policiers municipaux. Son assistante s'était révélée être une terroriste et il n'avait rien vu. Il avait bloqué le trafic spatial de Séréna, occasionnant des milliards de dollars de pertes, pour rien.

S'il ne retrouvait pas Lloyd très vite, il savait déjà ce qui allait arriver : ses supérieurs le rappelleraient sur Terre et il passerait un mauvais moment. Certains s'étaient retrouvés au placard pour moins que ça.

Alors qu'il cherchait un moyen de conclure dignement cette réunion, le téléphone de Miller sonna. Il allait le rabrouer, mais l'homme le devança :

— La ligne d'urgence, dit-il.

Denoël le laissa répondre.

— Commissaire Miller. Oui ? Hum... Je vous demande pardon ? J'arrive tout de suite.

Il bondit de sa chaise et courut vers la porte.

— Commissaire ? Que se passe-t-il ? interrogea l'inspecteur.

— C'était l'agent Pierce. Lloyd est à l'accueil : elle vient de se constituer prisonnier.

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNERWhere stories live. Discover now