Chapitre 5. Le secret de Victoire

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L'endroit

Victoire avait maintenant 3 ans et demi. Elle avait fait de gros progrès de langage et de motricité qui lui permettaient aujourd'hui de s'exprimer et de jouer comme toutes les petites filles de son âge. Mais elle n'était pas comme les autres petites filles de son âge. Outre le fait qu'elle pouvait sortir de son corps et voyager avec son double invisible, elle avait également des facultés intellectuelles remarquables. Elle ne voyait jamais d'autres enfants car Bérénilde n'avait pas voulu l'envoyer dans une école de campagne comme elle l'avait fait pour ses autres enfants. Elle voulait la garder près d'elle à chaque seconde de chaque minute, aussi avait-elle engagé un précepteur pour lui faire l'école à domicile.

Bérénilde avait également recueilli Farouk chez elle après sa transformation par Elizabeth, en échange de la protection de la Toile, qui gouvernait désormais le Pôle. En effet, dans un soucis de légitimité, puisqu'ils s'étaient imposés d'eux-même sans qu'aucune forme d'élection n'ait eu lieu, le nouveau gouvernement voulait maintenir l'apparence que Farouk avait encore une place à la cour, ne serait-ce que patrimoniale. Il assistait donc à quelques rares cérémonies officielles, en présence de Bérénilde, qui lui soufflait chaque mot, lui faisait répéter au préalable chaque attitude à tenir. Elle avait le sentiment d'avoir un nouvel enfant à charge. Un enfant géant. Sa présence était pour elle à la fois une souffrance - car il n'avait de son ancien amant que l'apparence physique - et une joie, car sa fille s'ouvrait à son contact, même s'il ne tiendrait jamais auprès d'elle qu'un rôle de grand frère, l'espace de quelques années tout au plus.Victoire sortait rarement de chez elle depuis qu'elle était rentrée de la clinique.

En effet, après la grande réinversion, Farouk avait, sans le vouloir, révélé le secret de Victoire à sa mère. Quand Bérénilde avait appris la nature du pouvoir de sa fille, elle avait rapidement compris que ce qu'elle avait pris pour une maladie durant ces longs mois où Victoire était restée dans un état végétatif, était en réalité une absence. La terreur s'était emparée d'elle à l'idée que sa fille put à nouveau partir et ne jamais revenir. Car elle ne pouvait pas la suivre dans ses voyages, et ne pouvait donc pas la protéger, ni la ramener à la maison si elle se perdait à nouveau. La terreur de Bérénilde s'était manifestée sous forme de colère quand elle avait très sévèrement grondé l'enfant en lui faisant promettre de ne plus jamais recommencer ses voyages si elle ne voulait pas "être séparée de maman et papa pour toujours". La terreur s'était aussi manifestée sous forme de médicalisation à outrance. Elle avait en effet cherché à "guérir" sa fille de son pouvoir. Hypnoses, radiographies, psychothérapies, tests en tout genre, Victoire avait été examinée sous toutes les coutures, sans qu'aucune des promesses faites par divers professionnels ne se soient réalisées. Farouk, qui se sentait coupable de cette situation, avait fini par téléphoner à la tante Roseline, seule personne capable de faire entendre raison à Bérénilde. Ophélie avait sauté sur l'occasion et convaincu sa tante qu'elle allait beaucoup mieux et qu'elle pouvait désormais la laisser seule pour retrouver son amie et Victoire qui lui manquaient beaucoup. Farouk ne s'était pas trompé. Roseline était en effet parvenu à faire reprendre ses esprits à Bérénilde, d'une manière inorthodoxe et risquée: elle l'avait giflée, alors qu'elle énumérait frénétiquement la liste d'une batterie de spécialistes qu'elle songeait encore à consulter. Bérénilde était restée bouche bée, la main sur la joue. Roseline l'avait alors prise par les épaules et lui avait dit fermement:

- Ressaisis-toi ! Tu ne vois pas que tu fais plus de mal que de bien à cette petite ? Elle pleure tous les jours, elle ne mange plus, elle demande sans cesse de rentrer à la maison. Si tu continues comme ça tu va la traumatiser pour de bon, c'est ce que tu souhaites ?

Comme Bérénilde ne répondait pas, toujours sous le choc, Roseline avait poursuivi:

- Je ne sais pas ce que tu traverses, je ne pourrais pas le prétendre, je n'ai jamais eu d'enfants, mais dans l'intérêt de ta fille il faut que tout ceci s'arrête, Bérénilde. Tu as toi-même des pouvoirs surnaturels, personne n'a jamais essayé de te les enlever à coup de thérapies et de remèdes, n'est-ce-pas ? Alors pourquoi tu fais endurer cela à ta fille ?

Bérénilde avait alors fondu en larmes dans les bras de son amie, et elles étaient allées toutes les deux chercher Victoire pour la ramener à la maison. Bérénilde avait demandé pardon à sa fille et Victoire lui avait promis de ne plus jamais voyager. Et elle tenait sa promesse.Aussi, elle n'avait pas réagi quand elle avait vu dans un miroir chez sa marraine, l'image de l'homme aux griffures sur les bras, l'homme qui l'avait sortie d'un trou dans l'envers pour la ramener à l'autre Victoire. Tétanisée à l'idée de remettre maman dans le même état que la dernière fois et d'être renvoyée à la clinique, elle n'avait parlé à personne de sa vision.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant