Chapitre 25. Le lac

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L'endroit

Ophélie avait passé la nuit à attendre le lever du soleil en rongeant les coutures de ses gants et en ressassant divers scénarios catastrophes. Elle fut ravie d'entendre du bruit dans la maison. Elle essaya de convaincre Archibald de rester se reposer, ce qu'il refusa catégoriquement, car il avait promis à leur filleule de veiller sur sa marraine. Elle dut donc attendre quelques temps encore que tout le monde soit prêt à partir, après avoir chaleureusement remercié leurs hôtes. Il ne restait plus que 7 heures avant l'éclipse. Elle vérifiait la montre à gousset de Thorn toutes les dix minutes environ. Cette dernière, animée de sa nervosité, ouvrait et refermait son clapet de façon compulsive, manquant plusieurs fois de chuter du dos de l'éléphant, au même titre que l'écharpe, qui passait de cou en cou. Au bout de quelques heures de marche, ils parvinrent à un immense campement au pied d'une montagne. Des tentes étaient dressées par dizaines. On pouvait y voir un joyeux dédale d'adultes et d'enfants, de linge suspendu, de poulets courants, de jeux de ballons, de grillades de cochon de lait à la broche, le tout sans qu'aucun mot ne soit prononcé. Ils étaient manifestement arrivés à destination, mais la rivière était le seul plan d'eau visible. Aucun lac à l'horizon.

- C'est un lac souterrain. Il est dans cette grotte, dit Meng en pointant la montagne du doigt. Il va falloir faire attention où vous marchez, les chemins sont parfois étroits et glissants.

- Vous n'êtes pas obligés... commença Ophélie pour essayer une nouvelle fois de partir seule.

Archibald lui coupa la parole en ouvrant la marche, accompagné de Meng et de Farouk.

- Vous avez entendu ce qu'a dit notre guide. Avec votre maladresse légendaire, vous vous casseriez le cou avant d'être arrivée. Ce serait fâcheux.

Elle ne le contredit pas et lui emboîta le pas. Ils suivirent alors une file de personnes qui progressaient le long d'un chemin de pierre qui permettait de gravir la montagne. Ils traversèrent un pont suspendu en cordes et en planches. Ophélie concentra tous ses efforts pour surmonter sa peur et ne pas faire du pont une balançoire. Puis, au prix de quelques efforts supplémentaires, ils arrivèrent à une fente de pierre dans la montagne, qui paraissait délimiter une entrée. Ils pénétrèrent dans ce qui semblait être un labyrinthe de pierre. Ophélie n'était pas fâchée d'être accompagnée finalement. Au bout de quelques temps la pente se fit descendante. La lumière se raréfiait et la température commençait à baisser, tandis que l'air devenait de plus en plus humide. Ils allumèrent des torches et découvrirent sur le sol et sur le plafond un nombre grandissant d'aiguilles blanches, de tailles variables. La paysage ressemblait à la bouche ouverte d'un monstre aux rangées de dents infinies.

- Ce sont des stalagmites sur le sol et des stalactites sur le plafond, précisa Meng.

Si elle n'était pas aussi concentrée pour ne pas tomber, Ophélie aurait pu apprécier la visite. Car le chemin s'était effectivement rétréci et ne permettait le passage que d'une seule personne à la fois. Farouk avait d'ailleurs du mal à avancer du fait de sa taille et de sa corpulence. Au bout de quelques temps ils finirent par déboucher sur un vaste espace plat. Un immense lac s'étalait sous leurs yeux, lisse et immobile comme une substance solide, il était éclairé par des faisceaux de lumière qui semblaient surnaturels en cet endroit. Tandis qu'Ophélie fixait l'étendue d'eau qui était peut-être la réponse à son souhait le plus cher, elle remarqua une tâche jaune sur un rocher de l'autre rive. Yin était étendue sur le sol, comme en contemplation. Ophélie, soulagée de sa présence, n'osa pas la déranger. Soudain Octavio, qui examinait les lieux dans les moindres recoins depuis qu'ils étaient arrivés, les appela tous à venir le rejoindre, ce qu'ils firent. Ils découvrirent ébahis, gravés dans un mur de pierre, une sorte de reproduction miniature en relief de toutes les arches du monde d'après la déchirure. Ophélie reconnut Anima, le Pôle avec la Citacielle perchée dans les airs, ainsi que la tour de Babel.

Puis elle s'éloigna discrètement du groupe pour retourner au lac. Une chose l'avait tout de suite frappée en arrivant: les faisceaux de lumière qui se reflétaient sur l'étendue d'eau en faisaient un parfait miroir. Les lacs étaient, après tout, les premiers miroirs de l'humanité. Or elle était une passe-miroir. Alors, pendant que les autres étaient occupés à leur découverte, elle s'assit sur ses talons au bord du lac et y contempla son reflet. Puis elle prit une grande inspiration, se vida l'esprit et avança ses mains. Elles se plongèrent sans se mouiller, suivies du reste de son corps.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now