Chapitre 31. L'éclipse

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L'endroit

Quand ils sortirent trempés du lac, les voyageurs se regardèrent anxieusement. L'éclipse avait plongé la grotte dans la pénombre et il était pratiquement impossible de distinguer les couleurs. Soudain une faible lueur mordorée apparut, très vite accompagnée d'une épaisse fumée, à l'odeur de cochon grillé: Yin était en train de brûler le livre épais comme un magazine qui était supposé être son nouveau code. Une femme poussa alors un cri de joie. Elle venait de réaliser que le vêtement qu'elle portait - une toge de sans-pouvoir - était blanc. Les autres comprirent aussitôt ce que signifiait le fait d'avoir entendu ce cri avec leurs oreilles. Alors les cris de joie, les bravos et les rires emplirent l'espace. Des inconnus se faisaient des accolades, des bises ou des poignées de main. Un couple dansait sans musique.

Ophélie et Thorn étaient occupés à s'examiner mutuellement sous toutes les coutures. Il était intact. Elle était intacte. En fait ils étaient tous intacts, car plus de personnes étaient entrées dans l'envers qu'il n'en étaient sortis. Les doigts d'Ophélie n'avaient pas réapparus mais cela ne l'empêcha pas d'attraper son mari par le col pour l'embrasser sur la bouche. Elle se sentait comblée et osait à peine cligner des yeux de peur que tout ceci ne fut qu'un rêve. Les premiers instants d'euphorie passés, tout le monde se dirigea vers la sortie de la grotte. Ophélie et Thorn durent aider Ambroise-le-premier qui, comme prévu, avait retrouvé sa cécité. Quand ils furent enfin à l'extérieur, l'éclipse était terminée. Les anciens prisonniers de l'envers se regorgèrent des couleurs et des bruits de leur monde retrouvé. Certains, genoux à terre, restèrent en contemplation devant le bleu du ciel et le blanc des nuages, tandis que d'autres se roulaient dans l'herbe en écoutant le chant des oiseaux et le clapotis de l'eau de la rivière. Yin, qui avait retrouvé le sourire en perdant la migraine, vint remercier chaleureusement Ophélie grâce à qui elle avait pu conserver son ancien code, avant de prendre place à l'arrière d'une sorte de carrosse miniature, tracté par un homme sur un tricycle.

- Je ne comprends pas pourquoi Yin et Yang n'avaient qu'un livre pour deux, dit Thorn.

- Je ne savais pas que c'était possible, mais je suppose qu'ils sont nés de la même page. Peut-être que l'un est venu du recto et l'autre du verso. Ça expliquerait bien des choses.

Ophélie fut amusée de l'expression d'égarement total qui s'était affichée sur le visage de Thorn.

- Je te raconterai pendant le voyage. Un dirigeable les attendaient en effet dans la clairière, conduit par un ancien employé d'Archibald. L'ex ambassadeur avait pensé à tout. Mais où était-il ? Ophélie questionna Octavio qui lui apprit son départ et lui remit ses lettres. Elle en fut sidérée mais comprit ses raisons.

- Ophélie, il faut que je te parle, dit Octavio.

- Oui ?

- Hum, seuls si c'est possible, dit-il en jetant un coup d'œil furtif dans la direction de Thorn qui se tenait à ses côtés. Ça concerne ma mère.

Thorn s'éloigna sans un mot, ce qui soulagea Ophélie, tout en provoquant en elle une sorte de malaise. Elle savait que Thorn était contrarié. Mais elle avait également une nouvelle pour le moins troublante à apprendre à son ami. Elle opta pour une approche directe et lui révéla tout ce qu'elle savait du rôle de sa mère dans les plans de Lazarus. Il ne parut pas aussi surpris qu'elle l'avait escompté. Elle comprit pourquoi quand il lui rapporta les propos de Forrest et la mort de sa mère. Dans un élan d'empathie, elle serra Octavio dans ses bras, tout en réalisant que Thorn pouvait la voir. Elle tourna son regard dans sa direction, pour constater que c'était effectivement le cas. Elle se dégagea rapidement de cette étreinte, tout en détestant le sentiment de culpabilité qu'elle éprouvait à cet instant, car elle ne faisait objectivement rien de mal.

Elle rejoignit son mari après quelques mots de réconfort pour Octavio. Toutefois ils n'eurent pas l'occasion de discuter de ce qui venait de se produite, au-delà de la simple information de la mort de Lady Septima, car c'était le moment d'embarquer dans le dirigeable, qui, bien qu'il en eût la capacité, n'avait pas été prévu pour accueillir cette foule compacte et peu disciplinée. Le voyage se passa dans un joyeux désordre, ponctué de chants et autres célébrations des voix retrouvées. Quand le dirigeable atterrit à Babel au bout de deux jours de voyage peu confortables, Ophélie et Thorn eurent la surprise de trouver un comité d'accueil à l'arrivée. La famille d'Ophélie n'était pas rentrée à Anima après le baptême mais avait suivi Bérénilde et Victoire jusqu'à Babel.

Bérénilde se jeta dans les bras de Thorn, sous les yeux ronds de Victoire, et le serra longuement tandis que des larmes roulaient sur ses joues, sans qu'elle essaie de les arrêter. Puis elle s'éloigna pour lui faire face.

- Pardon... je n'ai pas fait... assez pour t'aider... j'aurais dû... hoqueta-t-elle.

- Non, dit Thorn en la serrant dans ses bras à son tour.

Retrouvant son sourire elle sécha ses larmes et, examinant son visage, s'étonna de la longueur de ses cheveux et de sa barbe. Secouant la tête il s'apprêtait à lui répondre quand il vit s'approcher le grand-oncle d'Ophélie qui lui tendit la main en lui souhaitant bienvenue dans la famille, puisque c'était après tout la première fois qu'il le voyait après leur mariage. Thorn leva un sourcil et prit la main tendue dans une poignée de mains ferme mais respectueuse. Puis Victoire tira le pantalon de son cousin géant. Il fit alors une chose à laquelle Ophélie - qui l'observait du coin de l'œil - ne s'attendait pas: il s'accroupit pour se mettre à la hauteur de l'enfant. Il lui tendit une main dont elle ne sut que faire et préféra se jeter à son cou, manquant de le faire tomber à la renverse.

- Merci de m'avoir sortie du trou, dit-elle.

- Merci de m'avoir aidé à sortir du mien, répondit-il.

- Tu reviendras jouer aux échecs ?- Heu... peut-être.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now