Chapitre 23. Les colosses

1K 45 1
                                    

L'endroit

A peine s'était-elle retrouvée à l'extérieur, qu'Ophélie fut époustouflée par la beauté du paysage qui s'offrait à ses yeux. Elle qui n'avait connu que des environnements citadins, se trouvait devant un horizon aux milles nuances de vert, traversé par une large rivière aux multiples méandres, et agrémenté de montagnes escarpées qui semblaient être partout où l'on pouvait poser les yeux. C'étaient à ces montagnes comme posées sur un tapis vert, que la région devait son nom de Dents-du-Dragon. Le premier émerveillement passé, Ophélie se rendit compte de l'absence de routes pavées ou de rails de trains. Ils étaient manifestement en pleine campagne. Elle fut tirée de ses interrogations par un puissant bruit de souffle. Intriguée, elle fit volte-face et vit approcher, guidés par un jeune garçon, deux immenses animaux gris porteurs de longues protubérances et de cornes courbées vers l'avant. Manifestement son inquiétude se lisait sur son visage car Octavio lui dit:

- Ce sont des éléphants, tu n'en as jamais vus ? N'aie pas peur ils ne sont pas agressifs.

Les animaux ainsi nommés, portaient des tapis sur le dos surmontés de nacelles solidement arrimées. C'était donc ça le moyen de transport. Ophélie prit une grande inspiration avant de grimper à une échelle en corde pour atteindre la nacelle où l'attendaient Octavio et Forrest, qui durent l'aider. Puis, sous leurs yeux médusés, Meng s'étira vers le ciel, grandissant jusqu'à ce que l'éléphant fut pour lui assez petit pour le chevaucher comme un poney. Il reprit alors instantanément sa taille initiale, ce qui lui permit d'atterrir dans la nacelle sans écraser l'animal.

- C'est le pouvoir des Colosses, expliqua Octavio. Ce sont les descendants de Yin.

Ils cheminèrent ainsi toute une journée, ne croisant que des élevages de volailles et des collines aménagées en escaliers verts inondés où des enfants faisaient les 100 pas en poussant des cris pour chasser les oiseaux. Vers la fin de la journée, ils traversèrent une étrange forêt épaisse et sombre, dans laquelle d'immenses arbres dont les racines apparentes et les branches tombantes étaient en mouvement constant, comme s'ils étaient animés d'une volonté propre leur permettant de choisir ceux qui seraient autorisés à passer ou non. Alors, après les avoir prévenus des secousses à venir, les dresseurs d'éléphants se couchèrent en avant pour parler à l'oreille des pachydermes qui se mirent à rétrécir et à grandir à volonté pour passer les divers obstacles que la forêt mit sur leur chemin. Les Colosses n'étaient donc pas les seuls à pouvoir changer de taille sur commande. Ils réussirent, non sans peine à tous sortir du bois. Il débouchait sur la croisée de chemins en terre. C'est alors qu'ils aperçurent à l'horizon des files de personnes qui avançaient comme un seul homme, dans un silence religieux. Certains étaient à roulotte, d'autres à dos de cheval, à dos d'âne ou à pieds. Les gens de l'envers. L'information d'Octavio à leur sujet se vérifiait sous leurs yeux.

- Pourquoi sont-ils si nombreux à vouloir partir ? demanda Ophélie à Forrest.

- Parce que l'enfer des uns est le paradis des autres. Parce qu'ils n'ont pas trouvé leur place dans ce monde. Parce qu'ils veulent rentrer chez eux, tout simplement. Les gens de l'endroit pensent tellement que leur monde est meilleur, qu'ils ne peuvent même pas imaginer cela.

Ophélie ne trouva rien à répondre à cette remarque. Malgré son ouverture d'esprit, elle n'avait jamais elle-même imaginé que l'on puisse vouloir vivre dans l'envers.

- Hum, dit Octavio, tout le temps que j'ai passé dans l'envers a été un cauchemar sans fin. Je suis resté bloqué dans une sorte de boucle dont je n'arrivais pas à sortir. Je ne savais pas pourquoi mais il fallait absolument que je détruise tous les secrets de Babel. Si ce n'est pas l'enfer, ça y ressemble un peu.

- Ça c'est la période d'essai, expliqua Forrest. Tous les nouveaux arrivants dans l'envers doivent s'y soumettre. Il faut se débarrasser de tous ses conflits intérieurs et se sentir en paix pour accéder à notre monde. Cette période dure plus ou moins longtemps selon les gens, mais c'est la loi de notre esprit de famille.

- Ha. Et dire que je pensais qu'Hélène et Pollux étaient sévères...

A la nuit tombée, ils s'arrêtèrent dans un petit hameau. Meng y trouva des paysans prêts à leur offrir l'hospitalité pour la nuit. Octavio et Forrest s'éclipsèrent alors pour aller interroger les gens de l'envers pour leur article tandis qu'Ophélie, Archibald et Farouk entraient dans la maison de leurs hôtes. C'était une ferme au confort relatif, embellie par l'amabilité et la générosité de leurs propriétaires. Pour le dîner, ils goûtèrent ensemble des plats aux saveurs inédites. Ophélie songea en mangeant, que ces personnes qui ne possédaient presque rien étaient bien plus promptes au partage que tous les opulents de la cour qu'elle avait connu. Elle fut tirée de ses pensées par l'entrée remarquée d'Octavio et Forrest: visages graves, ils étaient tous les deux couverts de boue jusqu'à la taille. Ophélie se leva d'un bond.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle

- On a retrouvé deux cadavres dans la rivière, à une centaine de mètres d'ici, dit Octavio. Il observa quelques secondes les multiples traductions de la surprise et du choc sur les visages, avant de poursuivre, en posant son regard sur Ophélie:

- Ce sont des gens de l'envers. Forrest les a identifiés. Apparemment d'après ... leur état, ils sont morts depuis plusieurs jours.

- Et ce n'est pas tout, ajouta Forrest. Ils ont été tués ... poignardés dans le dos.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now