Chapitre 35. L'instinct

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Ophélie resta bouche bée avant de réussir à articuler:

- Non, non, non, non, non ce n'est pas possible, tu te trompes. J'ai vu un médecin à Babel qui m'a dit que je ne pouvais pas. Ensuite, après tout ce qu'ils m'ont fait à l'observatoire, j'ai perdu ma maladresse mais pas mon infertilité. Et même après être revenue de l'envers la première fois, j'ai retrouvé ma maladresse, j'ai perdu mes doigts... mais pas ma stérilité.

Elle avait à présent les larmes aux yeux.

- Non vraiment je t'assure, il ne s'est rien passé qui aurait pu changer...

Elle s'arrêta en pleine phrase et songea à la sensation qu'elle avait eue dans la grotte à l'envers, la sensation d'avoir des doigts. Puis elle se remémora les retrouvailles torrides avec Thorn.

- Serait-il possible ? murmura-t-elle, le regard perdu dans le vide.

Bérénilde la prit par les épaules.

- Nous en aurons le cœur net aujourd'hui même. Je t'emmène à la clinique. Pas la peine d'en parler à Thorn avant d'être sûre.

Ophélie se laissa embarquer par Bérénilde, qui enrôla une tante Roseline dissimulant mal sa joie, et échappa d'un tour de main aux protestations de Thorn qui voulait les accompagner. Elle avança comme un robot, exécutant toute les requêtes et ne parlant que pour répondre aux questions qu'on lui posaient. Quand le médecin lui annonça qu'elle était enceinte d'un mois environ, et que sa grossesse était viable bien qu'étant une "curiosité médicale", elle se laissa serrer par les bras de sa marraine et de Bérénilde mais n'entendit rien de tout ce qui lui fut dit après. Alors qu'elle s'était sentie étrangère à son corps, ignorant tout de ses propres sentiments, elle réalisa à cet instant que ce qu'elle ressentait était du soulagement. Sa grossesse était bien réelle, et surtout elle était viable. Alors elle fondit en larmes et fut aussitôt entourée par deux paires de bras. Elle en fut reconnaissante mais songea que c'était les bras de Thorn qu'elle voulait à cet instant. Comment allait-il réagir à cette nouvelle ? Elle avait plusieurs raisons d'appréhender sa réaction. Tout d'abord il lui avait dit détester les enfants et elle avait pu constater de ses yeux qu'il était en effet mal à l'aise en leurs présence. Ensuite il s'était confié au sujet de son sentiment de ne pas suffire à Bérénilde dans son enfance et de sa peur de ne pas lui suffire à elle. Ophélie passa donc tout le trajet du retour à imaginer tous les scénarios possibles et n'écouta pas un mot des babillages de la tante Roseline ni des anecdotes de grossesse de Bérénilde. Comme elle l'avait anticipé, à son retour Thorn l'attendait assit sur une marche devant la porte de la maison, sa montre à gousset à la main. Il se leva instantanément.

- Laissons-les parler tranquillement, dit Bérénilde à Roseline en la traînant pratiquement de force vers la maison, avant de fermer la porte.

- Qu'est-ce qui se passe ? dit Thorn, posté devant elle de toute sa hauteur.

- Assied-toi

- Non. Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que je dois m'inquiéter ? Est-ce que...

- Je suis enceinte.

De toutes les manières qu'elle avait envisagées, c'est finalement celle-là qui s'était imposée d'elle-même. Il resta immobile et muet un instant et finit par s'asseoir. Elle fit de même.- Comment c'est possible ?

- L'envers. Ce... bébé a été conçu dans l'envers. Les dates coïncident.

Le fait de prononcer le mot "bébé" à voix haute pour la première fois avait soudain rendu la chose très réelle.

- Et il est...

- En bonne santé apparemment, oui.

Il resta silencieux pendant un long moment, qu'elle n'osa pas interrompre, et durant lequel Andouille, le chat de Renard qu'Ophélie avait adopté, était venu se lover sur ses genoux. Aussi, quand Thorn se leva brusquement et partit en annonçant qu'il reviendrait bientôt, Ophélie dut d'abord se défaire de l'emprise du chat avant de se relever. Thorn était déjà hors de sa portée. Il ne l'entendit pas quand elle l'appela. Elle songea à le rattraper et toucher son dos avant de se remémorer instantanément ce qui s'était passé la dernière fois qu'elle l'avait surpris de la sorte à Babel. Il l'avait repoussée brutalement avec ses griffes, sans en avoir conscience. Alors elle se rassit. Le danger n'était pas réel, puisque Thorn avait depuis repris le contrôle de ses griffes mais elle avait ressenti pour la première fois l'instinct de protection de son ventre. Bérénilde qui avait vu Thorn s'éloigner sortit et prit place à côté d'elle.

- Je ne m'attendais pas à ce qu'il saute de joie, mais de là à prendre ses jambes à son cou... dit Ophélie, en rongeant les coutures de ses gants.

- Laisse-lui un peu de temps pour s'y faire.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now