Chapitre 19. Le baptême

997 43 8
                                    

L'endroit

Pour le baptême de sa filleule, Ophélie portait la tenue envoyée par la tante Roselyne et choisie par Victoire: une robe bouffante à la couleur et au parfum de lavande avec plusieurs étages de volants. Elle qui avait lutté toute son adolescence contre la dictature vestimentaire de sa mère et de sa sœur aînée, avait consenti à faire l'effort de porter cet accoutrement ridicule pour sa filleule, mais elle n'allait tout de même pas porter le chapeau chargé de roses en organza qui allait avec. Elle sourit en se demandant ce que Thorn penserait s'il la voyait ainsi affublée. Cette pensée fut immédiatement accompagnée d'un pincement au cœur.

Archibald était venu la chercher par un raccourci, accompagné de Farouk. L'ex ambassadeur était amaigri et pâle sous son chapeau haut de forme mais il n'avait pas perdu l'étincelle de malice dans l'œil qui le caractérisait. En les voyant tous deux, Ophélie eut une pensée émue pour Gaëlle et Renard qui étaient les compagnons de voyage d'Archibald la dernière fois qu'il était venu la chercher sur Anima. - Vous êtes en beauté Mme Thorn, se moqua Archibald- Ho ça va, grommela Ophélie.Elle pensa qu'il n'avait pas l'air tellement mieux mais ne le lui dit pas. Comme pour lui donner raison, Archibald fut prit d'une quinte de toux qui manqua de le faire tomber à la renverse. Farouk le retint de justesse, lui offrant un appui sur son bras de géant. Son état avait donc substantiellement empiré depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu. Ils cheminèrent ainsi tant bien que mal parmi les étals du grand marché de Babel jusqu'à une roulotte de diseuse de bonne aventure, dont toutes les vitres étaient ornées de rideaux verts. S'arrêtant au pied des 2 marches qui menaient à la porte de la roulotte, Archibald lui fit signe d'entrer. Elle s'exécuta, manquant de trébucher sur les marches métalliques. A peine avait-elle posé les pieds à l'intérieur de la roulotte qu'elle se retrouva dans une ruelle étroite aux odeurs peu engageantes.Le Pôle. Elle n'y était pas revenue depuis un peu plus de 5 ans. Elle fut assaillie par des souvenirs chargés d'émotions qu'elle refoula aussitôt. A cela s'ajoutait le fait qu'elle revenait aujourd'hui sans Thorn, contrairement à ce qu'elle avait dit à Archibald deux ans auparavant: "Nous reviendrons". Un sentiment d'échec lui brûla la gorge. Elle ravala ses larmes avant qu'elles ne se forment. Elle ne voulait ni s'écrouler devant Archibald ni arriver déconfite au baptême. C'était un jour joyeux, elle devait se comporter comme tel.

Les baptêmes étaient jadis une présentation officielle des nouveaux-nés à Farouk, à la Cour. S'en suivaient un immense banquet et une fête qui durait parfois plusieurs jours. Compte tenu des nouvelles circonstances, les baptêmes ne se faisaient plus que sous une forme nettement simplifiée. Ils étaient officiés par l'un des membres de la Toile et ne comportaient qu'un engagement signé des parrains et marraines, à s'occuper de l'enfant en cas de disparition de ses parents.

Toutefois, pour le baptême de sa fille, Bérénilde n'avait lésiné ni sur la décoration chic ni sur la nourriture. Des serveurs allaient et venaient en portant des plateaux alléchants. Un gazeebo avait été installé dans le jardin pour l'occasion et abritait un orchestre. Il se murmurait d'ailleurs que la maîtresse de maison gratifierait ses invités d'un récital, le premier depuis plusieurs années. Cependant elle avait opté pour une cérémonie en "comité restreint". En effet, elle ne disposait plus des moyens de sécurité dont elle jouissait auparavant. Elle n'avait donc invité "qu'une centaine de personnes", dont la famille d'Ophélie, sans le lui dire, pour lui faire la surprise. Ophélie fut donc ravie de revoir non seulement sa tante Roseline, mais aussi ses parents, son frère, ses sœurs, son beau-frère, ses neveux et son grand-oncle. Cette joie ne tarda pas toutefois à s'étioler, quand les questions du type "quand est-ce que tu rentres à la maison" commencèrent à fuser. Ce fut en début de soirée, quand sa mère lui expliqua qu'un délai suffisant était passé pour que l'on puisse la considérer comme une veuve, qu'elle explosa et préféra se réfugier sur la terrasse, les lunettes rouges de colère et l'écharpe hérissée.

Son grand-oncle la rejoignit. Elle effaça rapidement les larmes qui lui brouillaient la vue. Il posa une main sur son épaule.

- M'fille, il faut pas lui en vouloir à ta mère, elle veut qu'ton bien.

Ophélie lui jetta un regard oblique.

- Sacré nom d'une armoire désaccordée, la vie ne t'a pas épargnée m'fille, dit-il gravement. Mais la bonne nouvelle, c'est que c'est pas terminé. Le combat continue.

- Tu t'en souviens de c'que je t'ai dit le jour où t'as rencontré ton grand échalas d'mari ?

Elle luit sourit timidement.

- Je t'ai dit que tu es la personne la plus forte de la famille. Rien n'a changé, à part que tu es plus forte encore, m'fille, après tout ce que tu as traversé.

Ces paroles lui firent l'effet d'un pansement sur le cœur. Elle prit le grand-oncle dans ses bras - un geste qu'elle était incapable de faire il y a quelques années de cela - et colla un baiser sur sa joue moustachue.

- Merci, dit-elle, avant d'aller se chercher une boisson, pour finir de se calmer.

Elle n'en eut toutefois pas l'occasion car, sur le chemin vers le buffet, Grâce, la sœur aînée d'Archibald lui adressa la parole, à sa grande surprise.

- Tiens, mais c'est l'épouse de l'ex intendant, dit-elle avec un sourire qui dévoilait un grand nombre de dents. Je ne vous avais pas reconnue dans cette ... heu... robe. J'ai ouï dire que vous avez enfin réussi à vous débarrasser de votre insupportable mari ? félicitations, il faut fêter cela, comment avez-vous fait ?

Elle plaça sa main en paravent au coin de sa bouche comme pour mimer la discrétion.

- Vous l'avez empoisonné c'est ça ? souffla-t-elle avant de pouffer de rire.

Ophélie visualisa la gifle griffue qu'elle se sentait parfaitement en capacité de lui administrer, mais se ressaisit en considérant les impacts probables d'un tel geste. Les autres membres de la Toile en seraient immédiatement informés, et la prison était l'issue probable dans le meilleur des cas. Alors, elle utilisa à la place, une arme dont elle avait acquis les rudiments (mais pas la maîtrise) durant son précédent séjour au Pôle: les mots.

- Non, répondit-elle, est-ce que c'est la solution à laquelle vous songez pour votre mari ? Quel âge a-t-il au fait ? Ha oui c'est vrai, j'ai entendu parler de son 70ième anniversaire. Courage, dit-elle en posant une main sur l'épaule de Grâce et en admirant sa mine déconfite, plus que quelques années à tenir... ou pas. Avec les progrès de la médecine de nos jours l'espérance de vie augmente, vous savez.

La conversation fut interrompue par Victoire qui prit la main d'Ophélie et la tira avec insistance.- Qu'est-ce qu'il y a Victoire ? lui demanda-t-elle

- Marraine il faut que je te montre quelque chose, c'est très important.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now