Chapitre 15. Les dés

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L'envers

Le reste du voyage se passa sans encombre. Thorn reçut la visite de bancs de dauphins qui faisaient la course avec son bateau, dans une chorégraphie de sauts périlleux. Puis, progressivement la faune aquatique commença à changer car la température décroissait sérieusement et Thorn mit à profit la peau de loups. Il reconnut des orques, avec des tâches inversées: blanches sur le dos et noires sur le ventre. Il eut également l'occasion d'observer un spectacle étonnant dans le ciel: des voiles de lumière orange dansaient dans des cercles concentriques qui se déformaient constamment comme des feux follets. C'était une aurore boréale, aux couleurs de l'envers. Il en avait déjà entendu parler mais c'était la première fois qu'il en voyait. Il se demanda ce qu'Ophélie en penserait et chassa cette pensée de son esprit pour la remplacer par la vision de son objectif. Même s'il approchait visiblement du but, il n'était pas encore arrivé. Quelques jours plus tard, une goutte d'eau glacée tomba sur sa tête. Il leva les yeux au ciel: de la neige noire tombait à gros flocons. Un vent glacial battait les voiles du bateau. Soudain, il aperçut au loin le sommet d'une immense tour perchée dans les nuages. Il prit une longue vue. Pas de doute, c'était la Citacielle. Il était arrivé au Pôle. Il jeta l'ancre et se précipita dans la cabine. Un miroir surplombait l'évier. Il plongea dans son reflet et arriva à l'endroit le plus proche où il avait déjà imprimé son image: la résidence du garde forestier. Il put ensuite passer de la maison gelée à son ancien bureau à l'intendance. Il se sentit tanguer en posant le pied à terre, après des mois passés en mer, mais il continua à avancer d'un pas mal assuré.

L'intendance avait beaucoup changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vue près de 5 ans auparavant. Un désordre indescriptible - à ses yeux - y régnait. Des papiers étaient épars à tous les coins de table possibles. Son instinct ne résista pas. Il souleva tous les papiers simultanément dans les airs et, dans un tourbillon de paperasse, les classa. C'est ainsi qu'il découvrit, posés sur un guéridon, les seuls objets qui lui appartenaient dans la pièce: une paire de dés bleu marine. Il les saisit, les mit dans sa poche, ainsi que le trousseau de clés des roses des vents qui était toujours à sa place. Il se mit ensuite face au miroir de la porte de la penderie. C'était le miroir par lequel Ophélie passait pour lui rendre visite tard dans la nuit, quand elle était valet au ClairdeLune. Il repensa à ces moments, à l'espoir qu'il nourrissait toutes les nuits, de la voir apparaître trébuchant à l'arrivée, et à la petite lumière qui s'allumait en lui quand c'était le cas. Dans un état de mélancolie avancé, il traversa le miroir en pensant à la maison de Bérénilde.

Il savait que le manoir serait vide mais il éprouva tout de même de la déception. Il chercha la chambre de Victoire et finit par la trouver. C'était un parfait palais pour princesse miniature, avec une immense maison de poupée, une grande malle à jouets en osier qui débordait, une table et deux chaises d'enfants où trônait un service à thé, et un grand lit à baldaquin. Il trouva ce qu'il cherchait à un coin de la pièce: un miroir sur pieds à côté d'une petite commode. Il s'assit contre la commode de façon à refléter son image dans le miroir et attendit. Il s'endormit sans s'en rendre compte. Un cri aigu le tira brusquement de son sommeil. C'était un cri de petite fille, le cri de Victoire. Seulement, ce cri n'avait pas été précédé de l'éclair de douleur dans le crâne qui se produisait dans l'envers chaque fois qu'une personne débutait une conversation mentale. Il l'avait entendu avec ses oreilles. Cette expérience ne dura que quelques secondes. La petite fille disparut avant qu'il n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche pour tenter de lui parler.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant