Chapitre 20. Les larmes

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L'endroit

Victoire marchait à grande vitesse, tirant Ophélie derrière elle et bousculant des invités au passage.

- Doucement Victoire ! ralentit veux-tu ? dit-elle en s'arrêtant de marcher.

Ophélie avait failli renverser un serveur portant un plateau de coupes de champagne, et redoutait de provoquer par sa maladresse un mini désastre.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, inquiète de la mine sérieuse qui était imprimée sur le visage de la petite fille.

- C'est le monsieur avec les griffures sur le bras, il veut te parler.

Ophélie devint pâle comme un linge. Elle commença à bégayer une question, qui mourut sur ses lèvres quand Victoire ouvrit sa main pour lui montrer une paire de dés bleu marine. Les dés de Thorn. Ophélie fut prise d'un vertige. Elle s'assit sur la première chaise à sa portée et avala une gorgée de jus d'orange d'un verre qui n'était pas le sien. Ce n'était pas du jus d'orange. Reprenant ses esprits, elle prit Victoire par les épaules.

- Où as-tu trouvé ça ? dit-elle d'un ton plus pressant qu'elle ne l'aurait voulu.

- C'est lui qui me les as donnés, il a dit que comme ça tu saurais que c'était lui.

- Tu l'as vu ? Il est ici ?

- Je l'ai vu mais il n'est pas vraiment ici. C'est difficile à expliquer.Ophélie réfléchissait à toute vitesse.

- Tu l'as vu où ? quand ? Comment ? demanda-t-elle d'une voix forte.

- Viens avec moi dans ma chambre, je vais te montrer dit la petite fille d'un ton enthousiaste. Mais d'abord, tu dois me promettre de ne rien dire à maman.

Le visage de Victoire s'était soudain fermé.

- Quoi ? Pourquoi ? demanda Ophélie

- Elle va se fâcher, répondit Victoire, dont la bouche commençait à s'étirer dangereusement vers le bas. Promet moi ! dit-elle, d'un ton suppliant.

- D'accord, fit Ophélie rapidement. Montre moi.

- Ok, dit la petite fille, dont le chagrin avait disparu aussi vite qu'il était arrivé. Mais d'abord, je vais chercher papa, et aussi Parrain.

Victoire n'eut aucun mal à entraîner Farouk, qui sombrait dans un profond ennui, assis sur un fauteuil. Archibald par contre fut plus difficile à convaincre, il était en grande conversation avec une charmante demoiselle au décolleté plongeant. Ophélie vint au secours de Victoire en prenant l'ex ambassadeur par le bras, manu militari. Ophélie expliqua rapidement la situation à Archibald et Farouk tandis qu'ils prenaient les escaliers ensemble pour aller dans la chambre de Victoire. La petite fille referma la porte sur son petit monde et dit avec excitation:- On n'a pas beaucoup de temps avant que maman ne me trouve. Papa, je vais... voyager, et quand tu vas me voir, tu va prendre ma main et avec ton autre main tu va prendre la main de Parrain. Et Parrain tu vas... faire ton pouvoir.

- Hein ? fit Archibald d'un air médusé. Je ne comprends rien, dit-il en appuyant sur chaque syllabe, reflétant également l'état d'esprit d'Ophélie.

- Attends Parrain, tu va comprendre répondit Victoire d'un air entendu.

Mettant son plan à exécution, Victoire s'allongea sur son lit, sous les regards interrogatifs. Puis, quelques secondes plus tard, Ophélie vit Farouk tendre sa main gauche pour attraper une chose invisible, et saisir de sa main droite, la main d'Archibald. L'ex ambassadeur écarquilla les yeux, puis ferma les paupières, visiblement très concentré. Ophélie retenait sa respiration. Il ne se passa rien pendant près d'une minute, mais aucun d'entre eux ne bougea. Puis soudain, Ophélie vit se matérialiser dans l'air une image: Victoire, une deuxième Victoire souriante tenait la main droite de Farouk. Ophélie se mit une main sur la bouche pour étouffer un cri de surprise et fit de multiples aller-retour du regard entre la petite fille allongée et celle qui se tenait debout devant elle.

- C'est seulement moi qui peut parler à l'homme aux griffures sur les bras, dit la deuxième Victoire, satisfaite de son effet.

Personne n'osait souffler mot dans la pièce.

- Il est là en ce moment poursuivit-elle. Il est dans le miroir.

Même si Ophélie ne s'était pas imaginée trouver Thorn caché dans un placard ou sous un lit, elle était déçue. Elle balaya ce ressenti pour se concentrer sur le plus important: même si personne ne pouvait le voir à part Victoire, il était là. Elle se précipita sur le miroir sur pied et l'examina sous toutes les coutures, sans rien y voir d'autre qu'un miroir ordinaire. L'envie de s'y plonger était grande mais elle réfléchit à ce qui s'était produit la dernière fois qu'elle avait fait sortir quelqu'un de l'entre-deux. Elle s'était mélangée à l'Autre, qui était ressorti son sosie, et elle ne savait pas dans quelle mesure elle n'avait pas contribué à faire de lui ce qu'il était devenu. Le but était de faire sortir Thorn mais pas de faire de lui une sorte de monstre. Elle finit par se résigner, et se plaça devant le miroir en le regardant intensément, comme si elle le regardait lui, et non pas son propre reflet. Elle ferma ses paupières un instant pour mieux se représenter l'instant, pour le voir autrement qu'avec les yeux.

- Est-ce qu'il va bien ? Où est-il ? demanda-t-elle la voix tremblante, en posant ses mains sur le miroir.

- Il a dit qu'il va bien, et qu'il est ici, dans ma chambre mais dans ... l'envers ? dit Victoire, sans comprendre. Et il peut te voir, en ce moment.

- Demande lui où est l'Autre ?

Fronçant les sourcils, Victoire fit abstraction de son incompréhension pour relayer la question.

- Disparu, mort répondit-elle ensuite.

Ophélie poussa un énorme soupir de soulagement.

- Dit lui que j'ai une piste pour venir le rejoindre dit rapidement Ophélie. Un lac qui est un passage entre les mondes d'après les gens de l'envers. Il se trouve sur une terre nouvelle qui s'appelle Dents-Du-Dragon. J'ai une carte. Elle sortit la carte d'une poche et la plaça face au miroir, tandis que Victoire s'appliquait à répéter le message.

- Il a dit qu'il a une information lui aussi, dit Victoire: le passage entre les mondes s'ouvre quand il y a une .... ellipse ? éclipse ? répéta la petite fille hésitante. La prochaine .... éclipse est dans ...44 heures et 17 minutes. Et il faut aussi que ... l'esprit de famille Line.. non Yin.. soit dans le lac au moment de l'éclipse. Son ami... Yang va l'attendre comme d'habitude.

- D'accord, fit Ophélie et dit lui...Elle ne finit pas sa phrase. Bérénilde qui se tenait sur le pas de la porte venait de pousser un cri d'effroi et la deuxième Victoire avait instantanément disparue. Rouge de colère, Bérénilde avait hurlé. Ophélie avait tenté de la calmer avant de conclure qu'elle n'était pas prête à entendre ce qu'elle avait à lui dire. En effet, Ophélie fut soudain prise de violents maux de tête, tout comme Archibald et Farouk qui grimaçaient. Ils descendirent donc tous les trois rejoindre le reste des invités.

Ophélie était en ébullition. Un immense espoir avait pris la place de la déception initiale. Soudain elle fut frappée d'un doute. Thorn avait dit que Yin devait être dans un lac en même temps que son ami Yang comme d'habitude... sauf qu'Elizabeth avait réécrit les codes des esprits de famille. Yin n'était donc plus comme d'habitude. Saurait-elle seulement ce que représentait ce fameux lac ? Il était fort probable que non. Il faudrait la convaincre d'une manière ou d'une autre de s'y rendre. Si elle avait le même niveau intellectuel que Farouk, il ne devrait pas être trop difficile de trouver un stratagème pour l'attirer là bas. Ophélie était en pleine conversation avec Archibald sur la façon la plus rapide de rejoindre le lac de Dents-du-Dragon et de trouver Yin, quand Victoire lui toucha le bras. Un sentiment de culpabilité l'envahit quand elle vit le visage désolé de l'enfant. Elle était punie et venait dire bonne nuit avant d'aller se coucher. Ophélie l'embrassa et lui promit de tout arranger avec sa mère.

- Marraine, ton .. mari, il a dit une dernière chose mais je crois qu'il n'a pas eu le temps de finir sa phrase, dit-elle en haussant les épaules.

- Dit moi quand même, répondit doucement Ophélie.

- Il a dit: ha et au fait.

Alors, les larmes qu'Ophélie avaient réprimées toute la journée, se mirent à dévaler son visage en cascade. La tante Roseline accourut pour essayer de la consoler. Personne dans l'assemblée ne comprit que ces larmes venaient autant de la joie que de la tristesse.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now