Chapitre 12. Les loups

1K 47 3
                                    

L'envers

Thorn quitta le bord de mer pour s'enfoncer dans une épaisse forêt dont les arbres séculaires formaient une dense canopée d'un dégradé de violet qui laissait filtrer de rares rayons de lumière. La pente ascendante était douce mais certaine. Thorn était accompagné de Brittany, Deborah et une de leurs voisine qui les avaient rejoint en chemin. La communauté dont elles faisaient partie n'était composée que de femmes, toutes issues du milieu médical. Elles avaient été choisies pour leur dévotion par le Grand Voyageur, expliqua Brittany, et vivaient déjà en groupe avant d'entrer dans la corne d'abondance.

- Combien y-a-t-il de loups ? interrompit Thorn, qui n'avait pas écouté un mot du monologue de Brittany.

- 6 ou 7 répondit Deborah. Nous avons réussi à en tuer 2 avec des pièges. Ce n'est pas très efficace. Ils tuent notre bétail plus vite que nous n'arrivons à nous en débarrasser.

- Je suppose que vous n'avez pas d'armes ?

- Non, les armes sont contraires à notre éthique.

- Alors j'aurai besoin d'un animal pour servir d'appât, dit rapidement Thorn avant que Brittany n'ait l'occasion de se lancer dans un nouvelle tirade sur leur mode de vie.

Devant les sourcils froncés de Deborah, Thorn expliqua:

- Les loups ne s'attaquent pas aux hommes adultes. Il faut un moyen de les attirer. Ne vous inquiétez pas, il n'arrivera rien à votre bétail.

- Nous sommes presque arrivés à la ferme de Ruth et Wanda. C'est elles qui ont le plus gros troupeau et qui nourrissent l'ensemble de la communauté.

Thorn ne fut pas mécontent d'entendre ces mots car ils marchaient depuis plusieurs heures. Ils ne tardèrent pas, en effet, à déboucher sur une vaste clairière tapissée d'herbe mauve et parsemée de fleurs bleue turquoise. Une large bâtisse en bois au toit de chaume y était déposée, près d'un ruisseau . Une fermière vint les accueillir. Thorn laissa Brittany et Deborah exposer la situation et refusa la tasse de thé qui lui fut offerte. Il demanda à ce qu'on lui apporte un mouton attaché à une corde et à ce qu'on lui pointe la direction dans laquelle les loups avaient attaqué pour la dernière fois. Suite à cela, il partit seul en enjoignant les deux sœurs à rentrer chez elle. Thorn conduisit l'animal au cœur de la forêt, et l'attacha à un arbre au milieu d'une pente descendante. Il y fit un nœud lâche, avant de s'éloigner et de se positionner en contrebas. Il attendit de longues heures assit contre un arbre, en surveillant avec sa longue vue. La nuit était tombée quand il aperçut à 15 mètres de l'appât, une série d'oreilles pointues dressées. Ils étaient 8. Il évalua leurs tailles et leurs poids. Ils étaient 2 à 3 fois plus petits que leurs congénères du Pôle. Ils attendaient que leur proie se mette en mouvement. Thorn se leva et se plaça face à la meute, les bras écartés le long du corps, il sortit ses griffes et tira sur la corde. Le mouton se mit alors à dévaler la pente, instantanément suivi par les loups qui étaient bien plus rapides que lui. Arrivant à grande vitesse à proximité de Thorn, les loups furent déchiquetés par ses griffes simultanément en quelques mouvements. Devant le massacre qui s'étendait sous ses yeux et dont il était responsable, Thorn se sentit nauséeux. Il examina les bêtes du regard et acheva celles qui agonisaient encore. Il regarda ensuite anxieusement ses bras et fut soulagé de voir les griffes rentrer et son ombre disparaître. Puis il prit un loup sur ses épaules et repartit en sens inverse, avec le mouton encore terrifié au bout de sa corde. A son retour à la ferme, Thorn fut applaudi par les membres de la communauté qui s'étaient réunis au complet, ce qui eut pour effet d'assombrir d'avantage encore son humeur. Il ne voulait pas être félicité pour l'acte terrible qu'il venait d'accomplir.

- Thank you darling ! s'écria Brittany en tentant brièvement de le prendre dans ses bras, avant de renoncer face au visage austère qu'il lui opposa.

- Nous allons vous aider à réparer votre bateau, vous donner des vivres et tout ce dont vous aurez besoin pour repartir, ajouta l'ancienne infirmière avec un large sourire.

Thorn balaya l'assemblée du regard et remarqua une catégorie d'habitants qu'il n'avait encore jamais vue dans l'envers: des enfants. Ils étaient au nombre de 11; âgés de 3 à 10 ans environ. Deborah sembla lire dans ses pensées.

- C'est pour la sécurité de ces enfants que nous avons insisté pour que vous éliminiez les loups. Nous avions peur qu'ils s'en prennent à eux après le bétail.

- Ce sont tous les enfants du Grand Voyageur ajouta-t-elle gravement, ils sont nés ici... Je sais ce que vous pensez, mais nous sommes bien ici. Ces enfants sont tous les nôtres, sans distinction, et nous les élevons ensemble. Toutes ces femmes ont fui des situations difficiles, parfois tragiques. Ma sœur a été répudiée par son mari qui l'accusait injustement d'avoir été infidèle et moi ... je suis lesbienne, dit-elle en adressant un clin d'œil à une jeune femme qui lui répondit d'un sourire sans équivoque. Ici nous sommes libres de la persécution et du jugement, et personne n'est laissé de côté.

- Et maintenant vous allez m'expliquer que votre "Grand Voyageur" est un bienfaiteur de l'humanité ?

- Non, répondit-elle vivement. C'est un salopard qui a profité de la vulnérabilité de nombreuses personnes pour ensuite les jeter aux oubliettes. Mais nous avons su tirer partie de cette situation, et aujourd'hui personne ne souhaite revenir à son ancienne vie.

Brittany vint alors leur apporter à tous deux des assiettes remplies d'un dîner fumant. Deborah s'assit sur un banc face à une table, remplit deux verres et invita Thorn d'un geste à s'assoir à côté d'elle, ce qu'il fit. Puis elle attaqua le repas avant de réaliser qu'il ne touchait pas à son assiette - alors qu'il n'avait rien mangé de la journée.

- Ha oui c'est vrai, ma sœur m'a prévenue, dit-elle en échangeant leurs deux assiettes. Paranoïaque much ?

Thorn mangea du bout des lèvres sans répondre. Il failli avaler de travers quand elle lui demanda:

- Alors, comment elle s'appelle, celle que vous êtes si pressé de retrouver ? Non, parce qu'il n'y a que deux choses qui puissent motiver un homme à ce point: l'argent ou l'amour. Or l'argent ne courre pas spécialement les rues ici.

Elle arrêta là sa démonstration et scruta l'expression douloureuse qui s'était affichée sur le visage de Thorn.

- Sujet sensible. Pardon.

- Elle n'est pas ici, se surprit-il à répondre. Pas dans... ce monde.

Elle hésita une seconde avant de lui dire:

- Je sais comment vous pouvez faire pour rejoindre l'autre monde.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now