Chapitre 18. Seconde

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L'endroit

Depuis la grande réinversion et le démantèlement de l'Observatoire, Seconde vivait chez sa soeur Première, avec son beau-frère et ses trois neveux et nièces. Elle était devenue une adolescente aux courbes harmonieuses, mais chez elle les attributs classiques de la beauté étaient contrariés par la présence de la large cicatrice qui lui traversait le visage. Seconde aimait sa cicatrice. Elle était pour elle le souvenir du rôle central qu'elle avait joué dans la destruction de l'Autre. Elle se disait aussi que cette cicatrice était une barrière qui la protégeait des personnes qui n'en valaient pas la peine. Car seuls ceux qui s'intéresseraient vraiment à elle pourrait regarder au-delà et voir sa vraie beauté. Elle n'avait pas de temps à perdre avec les autres. Son défaut d'élocution n'était pas totalement résolu malgré les séances intensives de ré-éducation, mais en faisant des efforts de concentration, elle arrivait à tenir une conversation, c'était le principal.

Octavio venait souvent la voir et l'amenait parfois au zoo, ou au restaurant. Elle se réjouissait de chacune de ses visites car son grand frère était sa personne préférée au monde. Il était le seul à être venu régulièrement la voir à l'observatoire, le seul à ne l'avoir jamais abandonnée. Ils parlaient de tout et de rien, seul un sujet avait toujours été tabou entre eux: ils ne parlaient jamais de leur mère, Lady Septima. Seconde la considérait comme morte depuis qu'elle l'avait mise à l'Observatoire alors qu'elle était encore enfant. Octavio, quant à lui, avait honte de toutes les années qu'il avait passées à obéïr aveuglément à ses ordres et à croire en à sa cause. Ils s'appliquaient donc tous deux à ignorer son existence et elle leur rendait la tâche facile: tombée en disgrâce depuis la disparition des Généalogistes, elle n'avait pas été revue depuis.Ce jour-là, Seconde pensait à la dernière conversation qu'elle avait eu avec son frère. Il l'avait emmenée à la fête foraine et lui avait annoncé sur le chemin du retour qu'il partait bientôt pour un pays lointain et inconnu nommé Dents-du-Dragon, pour faire un reportage sur la disparition de gens de l'envers. Cette perspective n'avait pas du tout plu à Seconde. Cette aventure lui paraissait très dangereuse et elle ne comprenait pas pourquoi son frère tenait tant à en faire partie. Puis, elle avait appris, non pas par lui, mais par sa sœur Première, qu'Ophélie ferait aussi partie du voyage. Alors elle avait compris pourquoi son frère le lui avait caché. Il avait peur que l'évocation de la disparition du mari d'Ophélie ne ravive le profond sentiment de culpabilité qu'elle avait éprouvé en ne le voyant jamais réapparaitre après qu'elle l'ai poussé dans la corne d'abondance. Et il avait vu juste. Elle avait recommencé à faire des cauchemars. Songeant à son dernier rêve énigmatique, elle prit les crayons qu'elle n'avait pas touchés depuis la grande réinversion, et dessina ses cauchemars. Puis, elle sortit par la fenêtre de sa chambre, dégringola par la gouttière et rejoint la rue en courant. Le chauffeur de Tak Si qu'elle arrêta ne posa pas de question sur son âge. Il avait détourné le regard à la vision de la cicatrice. Un avantage dont Seconde jouait parfois. Il la conduisit donc au journal où travaillait Octavio. Dès qu'elle fut face à lui, elle lui annonça, avant qu'il n'ait eu le temps de lui poser de questions sur sa présence sur son lieu de travail:

- Octavio, je tiens le nain fou.

Elle secoua la tête et prit une profonde inspiration avant de reprendre:

- Je viens avec vous.

- Pas question, répondit-il tout de go.

- Ophélie ne pars jamais marmoner.

Elle ferma les yeux.

-Ophélie ne m'a jamais pardonnée.

- Elle t'a dit quelque chose ? s'inquiéta-t-il

- Non, rien, mais je le sais, à la façon dont elle ne me regarde jamais dans les cieux. Dans les yeux.

Elles ne s'étaient croisées que deux ou trois fois depuis la disparition de Thorn mais Ophélie s'était effectivement montrée froide et distante. Octavio prit sa soeur par les épaules.

- Seconde, je sais que tes intentions sont bonnes, mais ta présence ne peut que rappeler à Ophélie ce qui s'est passé la dernière fois. Deux larmes roulèrent sur les joues de la jeune fille.

- Je sais que ce n'est pas ta faute, ajouta-t-il. Elle le sait aussi, mais il faut lui laisser le temps, et ... de l'espace. C'est la meilleure chose que tu puisse faire pour l'aider.

Seconde finit par acquiescer. Elle sortit alors de sa poche deux dessins. Octavio blêmit. La dernière fois que sa sœur avait fait des dessins, le monde était au bord de l'apocalypse. Il examina les croquis. Sa première constatation fut l'absence de couleurs. Aucun traits rouges à déplorer. Le premier dessin représentait un grand mur de pierres qui obstruait l'entrée d'une grotte. Le deuxième représentait une jeune femme dont on ne voyait que les longs cheveux noirs qui tombaient sous ses fesses, qui donnait la main à une longue chaîne de personnes non identifiées.

L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroirWhere stories live. Discover now