L'exode. Une suite du tome 4 de la passe miroir

Chapitre 13. Les amants maudits

L'envers

Thorn scrutait Deborah comme s'il pouvait extraire des informations de sa boîte crânienne en la regardant suffisamment fort.

- Vous avez toute mon attention, dit-il pour l'encourager à poursuivre.

- C'est une longue histoire.

- Je n'ai rien de mieux à faire.

Elle sourit.

- Il y a quelques mois de ça j'ai reçu la visite d'un esprit de famille.

Thorn manifesta son étonnement.

- Oui, il y a un esprit de famille ici. Il est le seul et il s'appelle Yang. Le lendemain du jour du grand bouleversement il est venu me voir parce qu'il était blessé et qu'il n'arrivait pas à se régénérer, et sans me vanter je suis le meilleur chirurgien dans le coin, dit-elle en faisant un clin d'œil. Je lui ai fait quelques points de suture et il m'a raconté toute son histoire. Ou plutôt son assistante m'a raconté toute son histoire, puisque vous le savez, les esprits de famille n'ont pas beaucoup de mémoire. Donc l'histoire la voici:

- A l'origine, Yang vivait heureux dans son pays avec une très belle jeune femme du même âge que lui, prénommée Yin. Elle lui ressemblait beaucoup physiquement mais, sur le plan du caractère, elle lui était opposé en toutes choses. Elle était maîtresse de la masse et lui maître du ciel. Elle était aussi calme qu'il était impétueux, aussi douce qu'il était vif, aussi discrète qu'il était exubérant. Entre eux régnait une attraction incontrôlable, ils tombèrent amoureux. Mais leur créatrice interdit formellement leur union, au motif qu'ils étaient frère et sœur, ce dont, bizarrement ils n'avaient conscience ni l'un ni l'autre.

- Ils l'ont oublié quand elle a arraché une page de leurs livres, dit Thorn pour lui-même.

Deborah lui lança un regard interrogateur.

- Le livre, oui je l'ai vu. Ils en ont un pour deux, et c'est lui qui l'a. Où j'en étais dans mon histoire ? Ha oui, il leur était interdit de se voir. Mais bien sûr cette interdiction ne fit que renforcer leur attraction, et ils se virent en cachette. Sauf qu'un jour, alors qu'ils faisaient l'amour au bord d'un lac, la créatrice les surprit et décida de les séparer définitivement. Mettant ses menaces à exécution elle envoya Yang ici, pour toujours. Désespéré, Yang était résigné à ne plus jamais revoir son amante, mais il ne voulait pas l'oublier, alors tous les jours il allait au bord du lac où il l'avait vue pour la dernière fois. Mais un jour, il s'est passé une chose étrange, la luminosité a changé, il a fait nuit en plein jour, et prenant peur, Yang a plongé dans le lac. Et là il s'est retrouvé... face à elle. Ils étaient tous les deux dans le lac à ce moment, c'est ce qui a ouvert une porte entre les mondes.

- Il a fait nuit en plein jour ...

Thorn repensa aussitôt aux paroles de Médiana: quand les astres se rejoignent. Il aurait dû y penser plus tôt: une éclipse solaire. A quelle date était prévue la prochaine éclipse ? Thorn se replongea mentalement dans les livres du mémorial de Babel qu'il avait lus pour préparer son voyage, et obtint la réponse à sa question. -

S'ils ont réussi à ouvrir une porte entre les mondes, pourquoi ne pas la traverser ? Est-ce que c'est un passage temporaire ?

- Non, pas que je sache. Ils ont simplement refait leurs vies. Ils ont chacun eu une descendance dans leurs mondes respectifs, ce qui leur était impossible ensemble. De plus, ils n'auraient jamais été tranquille, avec la créatrice qui les surveillaient. Mais ils ont tout de même continué à se voir, à chaque éclipse, c'est-à-dire tous les deux ou trois ans, et il s'apprête bientôt à aller la rejoindre.

- Donc pour que le passage s'ouvre, il faut qu'ils soient tous les deux dans le lac au moment de l'éclipse, c'est bien cela ?

- Oui, dit-elle avec un sourire satisfait.

- Sauf que le monde a changé entre temps, ici, comme, je le suppose, de l'autre côté. Est-ce qu'ils arriveront à temps au lac ?

- Vous voulez parler du fait qu'on ne peut plus faire 100 mètres en un pas ? Ce n'est pas un problème pour lui: c'est le maître du ciel, il n'a qu'à déployer ses ailes. Il vole, c'est son pouvoir. Je l'ai vu planer depuis le sommet de la colline quand il est reparti, c'est très impressionnant.

- Très bien. Il faudra tout de même que j'en parle à Ophélie pour qu'elle s'assure qu'il n'y ait pas de soucis de son côté.

- Ophélie, dit Déborah avec un grand sourire. C'est un joli prénom. Vous voyez quand vous voulez.

- Et vous savez où se trouve ce lac ? - Non, mais je sais d'où vient Yang: d'une arche qui s'appelle Titan.

- Merci. Pour l'histoire et pour m'avoir sauvé la vie. Elle inclina la tête.

- C'est mon métier, friend. Je peux vous poser une question ?

- Je n'avais pas cru comprendre que vous attendiez d'avoir la permission pour le faire.

- Pourquoi vous avez ramené un loup mort ? Votre parole nous aurait suffit, vous savez. Sauf si vous voulez en faire un trophée ?

Thorn lui lança un regard acerbe.

- Là où je vais il fait très froid.

Il confectionna donc un manteau en peau de loups le lendemain. Puis, les habitantes de la communauté tinrent leur promesse et Thorn fut prêt à repartir quelques jours après. Il avait pris soin de parler à chacune des habitantes et en avait acquis la certitude qu'aucune d'entre elles n'était à l'origine de la tentative de meurtre dont il avait été victime. Elles n'en avaient ni les moyens ni le mobile. Il reprit la mer des questions plein la tête.