Chez moi

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J'ai construit une maison pour nous. C'est vrai, j'ai acheté le terrain, placé les fondations et cloué les lattes de bois une à une.
J'y ai laissé un peu de mon sang en peignant les murs.
J'y ai laissé un peu de ma sueur en posant le parquet.
J'y ai laissé un peu de mes larmes lorsque j'ai fixé la porte d'entrée.

J'ai construit une maison pour nous. C'est vrai.
Une maison où notre amour se serait épanoui.
Une maison où nos enfants auraient grandis.
Une maison où nous aurions vieillis.

J'ai construit une maison pour nous. C'est vrai, j'étais jeune, j'étais naïve et pleine d'espoir.
Alors dans la chambre, les regrets s'empilent en des tours vertigineuses.
Alors dans le cellier, nos cris y sont enfouis pêle-mêle jusqu'à ce que nous ne puissions plus en ajouter.
Alors derrière la porte où il y a encore les coups de crayon de bois suivant la taille de nos enfants, mes espoirs sont restés suspendus.

J'avais construit cette maison pour nous. C'est vrai, elle l'était : pour nous. Rien que pour nous. Et ça l'a été : chez moi.
Mais cet après-midi je dois déménager, emporter avec moi le vase que ta mère m'avait offert et où tous tes bouquets d'amour, de fêtes et de pardons se sont fanés.

Dire que j'étais jeune, que nous l'étions, suffit-il à expliquer ce naufrage ?
Suffit-il à effacer les doutes et les larmes ? Suffit-il à excuser les cris et les mots que l'on regrette ?
Suffit-il à peindre par dessus la peinture abîmée ? Suffit-il à changer les abat-jours et à épousseter les meubles vides ?
Suffit-il à me donner le courage de fermer la porte d'entrée ? À fermer la porte sur le passé ?

MOTS POUR MAUXWhere stories live. Discover now