CHAPITRE 6

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Allongée sur mon lit d'hôpital, le regard perdu dans la large fenêtre qui donnait sur le jardin, je pleurais, silencieuse, et inconsolable, le bonnet de naissance d'Ange au creux de ma paume. Une semaine me séparait déjà de mes adieux à mon fils, et je souffrais encore comme au premier jour.

Le trou béant que son départ avait laissé dans mon cœur saignait encore, tellement que mon corps tout entier n'était plus capable de quoique ce soit. Je donnerais n'importe quoi pour ressentir encore ses minuscules pieds taper contre mon ventre, gigoter dans tous les sens pour trouver une place confortable et pouvoir le toucher à travers l'épaisse couche de peau qui nous séparait. J'aurais voulu être morte à sa place pour lui permettre de vivre. De découvrir ce monde que je ne connaissais pas. Que je ne voulais plus connaître. Une partie de moi même était enterrée là, avec mon doux bébé et je ne m'en remettrais certainement jamais.

Les nuages défilaient lentement de ce ciel que j'avais tant voulu découvrir avant tout ça. Ce ciel que l'on pouvait apercevoir dans cette petite brèche des bas fonds. Ce ciel dont je rêvais chaque nuit avant de me coucher. Et désormais, je me fichais pas mal de pouvoir sortir, respirer l'air frais à pleins poumons, sentir l'odeur de l'herbe fraîchement coupée, ou la sensation de la pluie contre ma peau. Plus rien n'avait d'importance, et j'aurais voulu rester enfermée dans les souterrains, heureuse et avec les personnes que j'aimais. Que de vivre à la surface, détruite et dénuée de tous sentiments.

Les jours passaient, défilaient à ma fenêtre et je ne m'apercevais pas du changement que le soleil opérait en se couchant, passant du jour où je n'avais fais que pleurer, à la nuit ou je ne dormais presque pas, hantée par les cauchemars qui m'en empêchaient. Je voulais sincèrement me rendre compte de la chance que j'avais de pouvoir enfin découvrir la vie à la surface, mais j'en étais incapable et plus rien ne me rendait heureuse désormais.

- Bonjour Belle ! Lança joyeusement Ondine en entrant dans ma chambre.

Cette fille aux cheveux de feu était adorable et elle se donnait du mal pour me sortir des ténèbres dans lesquelles je m'étais perdue. Elle avait toujours un mot doux et affectueux, et une petite blague pour tenter de me faire sourire. Mais je n'étais plus que l'ombre de moi-même et me contentait de la transcender du regard pour qu'elle passe vite au patient suivant.

- Comment vas-tu aujourd'hui ? Ta cicatrice te fais encore souffrir ?

J'essuyais mes larmes du bout de ma manche et me laissais retomber sur le dos pour qu'elle puisse m'ausculter. J'avais réouvert la cicatrice lors de l'enterrement d'Ange, manquant de peu une nouvelle hémorragie.

- Oui, un peu, répondis-je simplement en relevant la robe qu'ils m'avaient fournis, puisque je n'avais plus aucun vêtement désormais.

Elle appuya légèrement sur mon ventre, vérifiant les saignements qu'ils appelaient les lochies. Je ne pensais pas qu'une femme devait traverser encore tous ces tracas après avoir tant souffert de l'accouchement, mais je supposais que cela en valait la peine lorsqu'il s'agissait de donner la vie. Quant à mon cas, j'aurais voulu ne pas souffrir physiquement, ne pas ressentir ces symptômes post partum alors que je ne pouvais pas me réconforter en regardant mon fils.

- J'ai mal à la poitrine, déclarais-je, la voix blanche.

Elle ouvrit la bouche, la referma, et l'ouvrît encore pour ne finalement émettre aucuns son. Mes seins avaient doublé de volume et ils étaient si sensibles que j'osais à peine bouger.

- Soit franche avec moi Ondine, s'il te plaît.
- Tu... tu as une montée de lait, mais ça devrait se dissiper rapidement, ne t'en fais pas.

Du lait pour un bébé qui n'était plus. À quel point mon corps allait-il me rappeler que j'aurais du être mère ? Que j'aurais dû allaiter mon enfant et lui faire profiter du meilleur lait que je pouvais produire pour lui ? Que j'aurais du rire en voyant une petite goutte de liquide blanc couler le long de sa bouche après avoir téter plus que de raison ? Je reportais mon regard sur la fenêtre en soupirant, patientant sagement qu'elle termine de changer mes pansements.

BROKEN HEARTS Where stories live. Discover now