CHAPITRE 27

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- PDV BELLE -

— Regardez la date, nous fit remarquer Hansi, en apposant son index sur les trois chiffres inscrits sous le nom de la carte.
— Huit cent quarante, lu-je, cette carte a été établie dix ans auparavant.

Tout se mélangeait dans ma tête. Plusieurs questions fusaient à toute vitesse, tellement que j'en eu rapidement le tournis. J'enfonçais presque mes ongles dans le bois abîmé du bureau pour ne pas vaciller, et je fus soulagée que mon état actuel passe inaperçu aux yeux de mes trois compères.

Qui avait amené cette carte ? Quelqu'un d'ici l'avait-elle dessinée ? Et si, quelques années auparavant, d'autres personnes étaient, eux aussi, venus sur nos terres ? La carte était, certes, daté de huit cent quarante, mais rien ne prouvait qu'il s'agissait de l'année de leur venue. Peut être avait-ils préparés soigneusement leur voyage, en cartographiant le monde, entre autre.

— Regardez, indiqua Moblit en pointant du doigt le bas gauche du planisphère, les noms des pays sont écris en deux langues, celle que nous connaissons, tandis que les autres caractères ont l'air similaires à ceux qui se trouvent sur le ruban de Belle.

Leurs yeux se posèrent instinctivement sur le bracelet que je portais à nouveau depuis une semaine, sur lesquelles les deux sortes de lettres trônaient fièrement près du fermoir. En les analysant brièvement, les caractères correspondaient parfaitement à ceux inscrits sur la carte.

— Cela proviendrait donc d'un endroit capable de parler notre langue, et celle-ci ? Intervint Hansi en remontant un peu plus ses lunettes sur son nez, comme si elles avaient le pouvoir de répondre à ses questions.
— Que représente ce vide qu'ils nomment « mer », d'après vous ?

Nous haussions des épaules.

— Ce petit morceau de terre est trop mignon, indiqua-t-elle en apposant son index sur la carte, on devrait y aller, ça nous changera d'ici.

La brune explosa de rire sous le coup de la blague qu'elle était là seule à saisir, et nous la toisions, attendant sagement qu'elle termine de pouffer comme une imbécile.

— Parce qu'ici c'est l'enfer, et qu'ils l'ont nommé « Paradis », vous saisissez ?
— Bref, on emmène ça, Moblit fout là dans ton sac, intervint Livaï avant que les choses ne dégénèrent avec Hansi, quand elle s'y mettait, elle était inarrêtable, on peut sûrement trouver autre chose.

Alors qu'ils se remirent tous à la recherche du moindre indice nous permettant de connaître la vérité sur ce que le gouvernement cherchait visiblement à dissimuler, je restais plantée là, le regard perdu sur le vide que la carte avait laissé, autant sur le bureau, qu'en mon fort intérieur. Je n'arrivai pas bien à encaisser le coup.

Je venais de l'extérieur de ces murs.

J'avais compté pour quelqu'un, un jour. Je n'avais pas été une orpheline toute ma vie. Peut être même que ma famille était encore en vie, quelque part. Et s'ils ne voulaient pas me revoir ? S'ils m'avaient abandonnée de leur pleins gré, pour une raison qui m'échappait ? Et si... et si la vérité faisait bien plus mal que le fait de n'avoir aucune identité ?

Ma respiration se fit subitement plus courte, et ma vision s'obscurcissait doucement, à mesure que mon esprit s'enfonçait dans cette horrible torpeur qui annonçait une crise d'angoisse. Je m'accrochais, tant bien que mal, à la surface abîmée du bureau pour ne pas m'écrouler, tentant d'appliquer les exercices de respiration qu'Ondine m'avaient enseignée pour me sortir de là. Cette carte venait de bousculer ma vie, en confirmant les hypothèses de Livaï quant à mon réelle lieu de naissance. J'avais erré ce qui m'avait paru être plusieurs années, seule, dans ces souterrains poussiéreux, incapable de me souvenir de mon passé, de la façon dont j'étais arrivée ici, de mon prénom... et pourtant, je ne m'étais pas sentie aussi perdue qu'aujourd'hui. Perdue dans les flots d'interrogations qui fusaient dans mon esprit, perdue dans les explications que je tentais d'y apporter, pour me permettre de rencontrer un sentier praticable, et de retrouver mon chemin.

BROKEN HEARTS Where stories live. Discover now