XXXI - Le combat

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Natanaël a entraîné Aeria, cette dernière l'a fait sans relâche, pendant des semaines, qu'il pleuve, qu'il vente... elle s'entraînait, au péril de sa propre santé, dans l'espoir de pouvoir, un jour, se tenir face à un homme et le battre.

Jamais elle n'aurait pensé que cet homme serait Hervos. Elle n'a pas toujours été tendre avec lui mais a su lire en lui la sensibilité qui l'habitait, l'amour qu'il porte à sa femme et ses deux filles et sa loyauté envers son ami. Il est même étonnant de le savoir toujours aussi loyal après que Natanaël lui ait sectionné deux doigts de chaque main, mais il faut croire qu'Aeria ne sait pas tout.

Elle est encore si jeune, elle est incapable de lire en une personne comme le ferait Natanaël ou son père, car eux ont cette expérience de vie qu'elle n'a guère connu.

Hervos donne le premier coup, sa lame heurte violemment celle d'Aeria. Fort heureusement, elle détient la lame d'un Dragon, la dernière. Bien plus précieuse que l'acier, bien plus résistante, cette lame ne peut être brisée que par les flammes d'un Dragon, elle sait qu'elle a davantage de chances de s'en tirer que son adversaire.

Ses pieds glissent légèrement sur la pierre, ses yeux croisent ceux d'Hervos. Il relève sa lame, tourne sur lui-même et tente de la blesser au flanc. Aeria se tourne sur la droite, sa lame vers le bas, elle pare le coup fatal qui aurait pu lui être attribué. Elle est agile, rapide et Hervos est plus lent, à cause de ses prothèses bien qu'il n'en reste pas moins un bon chevalier.

Il est l'attaquant, alors il assène un coup de sa lame en direction de son visage, Aeria le pare de justesse. Les deux lames glissent l'une contre l'autre dans un tintement métallique.

— Nous pouvons éviter cela, Hervos, il suffit de me laisser voir Natanaël.

— Je ne peux te l'accorder, tu l'as trahi et il ne se rendra pas.

Les épées glissent, Aeria se repositionne correctement, ne quittant son adversaire des yeux. Hervos fait tourner son arme et se poste de nouveau face à elle. Il ne lâchera pas l'affaire et Aeria ne souhaite pas le tuer. Il est hors de question qu'elle ôte la vie à un père de famille.

Les deux guerriers se battent sur la haute muraille du château des Landes, alors qu'en contre bas, quelques chanceux sont encore en vie, la peau brûlée, en pleine souffrance. Le roi Lauan, lui, reste contre la muraille, assis dans la boue, les lèvres retroussées, cherchant le moyen d'entrer dans la demeure sans être victime de l'un des pièges de Natanaël. C'est pourquoi il espère que les autres armées parviendront à pénétrer la bâtisse.

Du côté des concernés, ils ont tenté de grimper les murailles en vain, les pièges ont été déclenchés et ont tué une bonne partie des soldats. Le Baron de Valmont a décidé de renoncer, pour ne pas faire périr son armée, estimant que le plan du roi Lauan est trop bancal pour poursuivre l'ascension. Rapidement, le Duc de Dranne fait la même chose, ils campent simplement, attendant patiemment que Natanaël se rende ou qu'un chanceux ait pu pénétré les lieux. Le fait d'avoir vu ce Dragon à l'oeuvre les a dissuadé de poursuivre l'assaut. Il n'est pas question que le même massacre qu'il y a eu cent auparavant se reproduise.


Aeria se retrouve sur le dos, essoufflée, une entaille sur la joue, la pointe de la lame d'Hervos la menaçant. Elle le regarde, sa poitrine se soulève anormalement vite.

— Tue-moi, souffle-t-elle. Protège indéfiniment le monstre qu'est Natanaël...

Hervos secoue la tête, la dominant de toute sa hauteur.

— Tu ne le connais pas, tu ne connais pas la vérité.

— Ce que je sais, c'est qu'il m'a volé mon Dragon et qu'il vient de tuer des tonnes de chevaliers, comme toi, qui avaient une famille.

— La guerre n'a pas de pitié, Aeria.

— Moi non plus...

Elle saisit son épée et frappe violemment la lame d'Hervos. Celle-ci se brise en plusieurs petits morceaux, comme du verre et ceux-ci valsent dans les airs. Aeria profite de l'étonnement de son adversaire pour se redresser et le blesser à la jambe. Il pose un genou à terre, grimaçant, du sang s'écoule déjà de la plaie derrière sa rotule.

La jeune femme le contourne, le menace à son tour. Hervos relève la tête vers elle, les lèves pincées. C'est un homme d'un quarantaine d'année, les cheveux mi-longs, grisonnant, les yeux gris comme un ciel chargé et des traits fins, bien qu'un visage marqué par les combats passés. Il laisse pendre les bras le long de son corps, reprenant peu à peu sa respiration.

— Tu te bats contre moi alors que je possède l'Armure du Dernier Dragon, tu savais très bien que tu perdrais. Pourquoi t'obstines-tu ?

Il l'observe un instant, sans un mot, demeurant digne.

— Je sais qui je sers et je prête serment lorsque je le fais. Toi... le serment que tu as prêté en te mariant à lui, tu l'as bafoué à peine quelques jours plus tard en le trompant.

Hervos marque une pause, la jauge puis reprend.

— Je peux comprendre que le mariage forcé n'a rien d'un conte de fées, mais la vie est faite ainsi et Natanaël ne vous a jamais traitée comme vous l'avez fait. C'est impardonnable, Aeria. Vous l'avez trompé, humilié devant son peuple, puis alors que vous avez de nouveau gagné sa confiance, vous l'abandonnez et le trahissez à nouveau...

Elle toise Hervos, sans un mot, l'épée dorée pointée vers son visage. Elle commence à peser lourd au bout de son bras, et les paroles qu'elle entend sont douloureuses pour sa conscience.

— Moi, poursuit Hervos en posant sa main sur ma poitrine, je ne trahirai jamais mon roi. Grâce à lui, je suis en vie aujourd'hui, grâce à lui, j'ai une femme et des enfants. Chaque mois, il me paye gracieusement et ne me demande que protection en retour et même lorsqu'il m'a coupé les doigts, il a continué de m'envoyer de l'argent, pour que ma femme et mes filles ne manquent jamais de rien. Pour vous, est-ce là le comportement d'un monstre ?

Aeria déglutit difficilement, les larmes au bord des yeux, la gorge nouée. L'émotion qui traverse le regard d'Hervos est palpable, transparente. Il aime Natanaël comme on aime son frère et lui a pardonné toutes ses erreurs, chose qu'Aeria n'a su faire. Contrairement à elle, Hervos est en paix.

— La vérité, c'est que Natanaël a souffert comme personne sur cette Terre n'a jamais souffert et sa souffrance s'est transformée en haine, une haine qu'il a déversé sur ses confrères et... aujourd'hui, il cherche sa rédemption et pour cela, il a besoin de se venger, il a besoin de terminer son histoire et tu l'en empêches. Le véritable monstre, c'est...

Hervos ne termine pas sa phrase, une épée transperce son abdomen, par son dos. Il ouvre la bouche, écarquille les yeux, du sang épais vient couler au bord de ses lèvres. Aeria reste immobile, le souffle coupé, les yeux sortant presque de leurs orbites. L'épée se retire brutalement de son torse. Machinalement, Hervos pose ses mains tremblantes sur sa plaie, croisé le regard d'Aeria puis tombe à la renverse.

— Ton adversaire parlait trop, grogne Lauan en essuyant à l'aide d'un morceau de tissu sa lame ensanglantée.

Aeria regarde Hervos suffocant, baignant dans son propre sang, puis relève son regard horrifié vers le roi des Cinq Terres.

— Pourquoi me regardes-tu ainsi ? s'offusque le roi. Je t'ai aidée, c'était une diversion. Allons trouver Natanaël, qu'on en finisse.

Sans qu'elle s'en aperçoive, Lauan a fini par se résigner et grimper à l'échelle encore en état par laquelle était montée Aeria quelques minutes plus tôt.

De sa main tremblante, cette dernière range son épée dorée dans son fourreau. Elle ravale ses sanglots, la vue brouillée par les larmes qui menacent de couler de ses yeux puis relève le menton, tentant d'ignorer les gargouillis provenant du fond de la gorge d'Hervos. Elle le contourne, marche dans son sang et suit le roi qui avance devant elle. D'un revers de la main, elle essuie la larme qui coule sur sa joue, inspire, expire, inspire, expire...

Sa bataille en vaut-elle vraiment la peine ?

L'Armure du dernier Dragon [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant