VI - Vivre ou mourir ?

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      Pour Natanaël, depuis bien trop longtemps maintenant, vivre était comme une nuit éternelle sans étoiles. Sa punition pour ses crimes le forçait à rester en vie et ne pas vieillir, pour qu'il n'oublie jamais l'atrocité de ses actes et ne puisse trouver le repos.

Comment ne pas se souvenir de ce qu'il s'était passé après la Guerre du Feu ?

À cette époque, alors que Natanaël n'avait plus la confiance du Dragon et avait été privé de l'Armure, il avait erré des jours durant, dans les forêts dévastées des Landes. Il avait croisé quelques personnes, démunies, sans abris, avec des proches décédés près d'eux. Cela le renvoyait constamment à la colère qu'il avait ressenti et à son comportement trop impulsif. Comment aurait-il dû réagir face à la mort de sa femme avec qui il avait partagé quinze années de sa vie ?

Ne pouvant vivre sans elle, et avec la mort de tous ces innocents sur la conscience, ainsi que celle de ses amis, Natanaël tenta de mettre fin à ses jours plusieurs fois.

Il commença par se dénuder complètement et entra dans l'eau du fleuve des Landes. Ce fleuve passait par la Montagne du Trépas, son eau glaciale en été comme en hiver était mortelle pour quiconque osait s'y baigner. Le froid fut saisissant, lui coupa la respiration, le fit grimacer. Quelques hématomes trônaient sur le corps du dragonnier, mais l'Armure avait protégé ses os et ses organes lors de sa chute, après la mort de Jade.

Avant la guerre, l'endroit était idyllique, avec cette verdure et l'eau turquoise du fleuve. Dorénavant, la verdure avait disparu, carbonisée, dévorée par le drame.

Il s'était laissé flotté, emmené par le courant puissant. Peu importe où cela le menait, ce qu'il espérait, c'est que son coeur ralentirait suffisamment pour mourir. Il tomba par la cascade, là où il plongea dans un grand lac glacé. Il se força à rester sous l'eau, les membres engourdis par le froid, comme si son sang se gelait dans ses veines. C'était douloureux, et encore plus lorsque l'air commença à lui manquer. Le réflexe d'un homme serait de remonter à la surface, le cerveau ne pouvant nous laisser suffoquer. Cependant, Natanaël était si déterminé, qu'il ne remonta guère à la surface. Il se noya, lorsqu'instinctivement, il ouvrit la bouche pour respirer. De toute façon, s'il ne se noyait pas, alors l'hypothermie ferait le reste.

Enfin, il était mort, il pouvait reposer en paix, retrouver sa dulcinée, oublier ses actes et toutes ces âmes blessées. Cependant, il n'eut guère cette chance.

Son corps fut ramener par le courant, sur la berge de l'autre côté de la cascade. Complètement nu, frigorifié, à plat ventre sur la terre humide et boueuse, ses doigts enfoncés dans celle-ci. Il toussa en premier, puis cracha de l'eau. Il se redressa difficilement, toussota à nouveau pour recracher toute l'eau qui s'était infiltrée dans ses poumons. Il resta un instant immobile, ne comprenant pas ce qu'il se passait. Les poils de son corps hérissés par le froid. Il demeura à genoux de longues minutes, passa ses mains sur son torse, sur son visage... comprenant peu à peu ce qu'il se passait.

— Non... non... non ! grommela-t-il.

Ce fut un échec, il ne mourut guère de cette noyade et il erra, sans vêtements, grelottant de tous ses membres, durant plusieurs jours. Il retrouva de quoi se couvrir dans une vieille chaumière abandonnée, une partie du toit brûlé. Il s'efforça de dormir, sans y parvenir, et chaque fois qu'il fermait les yeux, les cris de tous ces innocents résonnaient dans ses oreilles, il revoyait ses camarades mourir, entendait les rugissements plaintifs des dragons, victimes de la colère des Hommes et de leurs vices.

Il trouva une bourse de pièces d'or sous le lit sans draps sur lequel il était couché. N'importe quel homme s'en serait servi pour s'acheter à manger ou quitter cette Terre, mais souhaitant par dessus tout quitter ce monde, Natanaël espérait mourir de faim.

L'Armure du dernier Dragon [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant