IV - Une main tendue

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— Elles sont mortes... elles sont mortes... répétait Natanaël, recroquevillé sur lui-même.

Sa main était posée sur sa poitrine, son coeur ralentissait. Il ne battait presque plus, il sentait que la mort était là, prête à lui prendre la main, prête à l'emmener avec elle, loin de tout ce calvaire. Pourtant, la sérénité ne vint pas l'habiter, au contraire, la douleur de penser Aeria et Thearsis mortes le détruisait petit à petit. Ou peut-être était-ce lui, simplement, qui s'auto-détruisait.

La petite Theodora garda la main de sa soeur dont la démarche était encore branlante de part son jeune âge. Elle s'avança, hésitante, vers Natanaël puis lui tendit sa petite main innocente.

Il releva ses yeux embués de larmes vers elle. Elle n'arborait plus ce visage terrorisé, cette expression d'horreur qu'elle avait adopté en observant Natanaël battre son père à la simple force de ses poings.

Après un court moment d'hésitation, il posa sa main tremblante dans la sienne. Comme une vague d'énergie, Natanaël trouva la force de se relever et, agenouillé dans la poussière, les deux petites filles se blottirent contre lui. Il ferma les yeux, une larme roula sur sa joue. Elle sécha rapidement à cause de l'incendie qui se propageait lentement suite aux flammes crachées par Filërys quelques minutes plus tôt.

— Peut-on rentrer à la maison ? souffla la petite fille.

Natanaël se détacha des deux petites pour les regarder toutes les deux. Il posa ses mains derrière leur tête et leur adressa un faible sourire, soulagé de les voir en vie malgré le trou béant qui semblait remplacer son coeur.

— Nous rentrons, affirma-t-il.

Alors il porta de son bras en état, la petite Camille et Theodora s'accrocha à son fourreau vide pour le suivre. Natanaël avança ainsi, boitant, une douleur indescriptible à la poitrine, un bras cassé, des côtes fracturées... Il passa à côté de son père, encore allongé, inerte sur le sol. Lauan ne le regarda point quitter la grange, il fixait le plafond, la respiration sifflante, défiguré. Son nez était aplati, comme coupé et saignait abondamment, ses lèvres avaient comme explosé, ses pommettes avaient triplé de volume.

À l'extérieur, la guerre semblait avoir cessé. Il n'y avait plus le cri d'un seul Dragon, il n'y avait plus le son des tintements métalliques rappelant les épées qui s'entrechoquaient.

Ils quittèrent l'enceinte de la demeure, fatigués, attristés, perdus. En s'éloignant du château royal d'Hazanel, ils traversèrent les plaines verdoyantes de cet été chaleureux. Le soleil se couchait lentement, le ciel arborait de sereines teintes orangées, la chaleur retombait quelque peu.

Lorsqu'ils avancèrent vers le lac, Natanaël resta stoïque face à la scène qui se profilait devant lui. Theodora lâcha le fourreau et courut en direction de Thearsis sans qu'il n'ait le temps de la retenir.

— Non ! La maman dragon... elle... elle...

La petite fille laissa glisser sa main frêle sur les écailles encore brûlantes du Dragon. Elle se pencha en avant pour regarder ses yeux dont l'un était crevé. Ses ailes étaient étalées autour d'elle, l'une avait été cassée durant sa chute et quelques cadavres gisaient au sol, en plus des débris du Destructeur, détruit sous son poids.

— ... elle est morte... pleura la petite fille.

Natanaël se mordilla les lèvres, il ne pouvait cacher sa tristesse. Cependant, il ne versa aucune larme, il n'en avait plus la force et ne souhaitait point pleurer devant les filles.

— Dragon ! s'exclama Camille de sa toute petite voix tout en le pointant du doigt. Dragon !

Natanaël la serra contre lui, le coeur lourd, qui peinait à reprendre un rythme régulier sans le faire souffrir. Theodora cueillit une petite fleur rose et la déposa, doucement, sur l'aile de Thearsis. Son air triste ne quittait plus son doux visage enfantin, sa lèvre inférieure en avant, le menton tremblant et les joues inondées de larmes.

L'Armure du dernier Dragon [INTÉGRALE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant