2 - PERLE

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Un mercredi après-midi de fin novembre :

Je détaille la partition du nouveau morceau que je vais apprendre à jouer, à la recherche des erreurs éventuelles que je pourrais faire et tout simplement aux difficultés que je vais rencontrer. Pendant ce temps, je sens que mon professeur de violon me regarde attentivement.

C'est un morceau de Bach suite No 1, lance-t-il pour briser le silence.

Même si le titre est marqué sur la première page et que je sais lire (fort heureusement, j'ai envie de dire), je ne fais pas de remarque. Ce serait peut-être hautain qu'en tant qu'élève je me permette ce genre de réflexion.

Alors je continue de fixer ma partition silencieusement. J'ai l'impression d'entendre mon instrument jouer, mais il ne s'agit que de mon cerveau qui me joue un tour lorsque mes yeux déchiffrent les notes. C'est un automatisme qui s'est créé récemment dans mon esprit.

J'aime bien cet automatisme, il mâche plutôt bien le travail du début d'apprentissage d'un nouveau morceau et c'est agréable.

Je regarde ensuite la deuxième page et ravale ma salive. Comme je m'en doutais, je ne vais pas travailler que le prélude. Face à cette découverte, je sens une tension m'envahir. Bien sûr, je suis heureuse que mon professeur me juge capable d'apprendre la totalité du morceau. Néanmoins, je sais la charge de travail que cela va demander. Et en toute franchise, je n'en ai vraiment pas besoin en ce moment.

J'aimerais que tu travailles les partitions avec beaucoup de sérieux, Perle.

Je lève les yeux de mes feuilles pour la première fois depuis son annonce pour regarder mon professeur. Ensuite, je fronce les sourcils. Pourquoi me mentionne-t-il le sérieux pour ce morceau, sachant que c'est ainsi que je travaille chaque partition qu'il me donne ?

Parce que j'aimerais que tu le joues pour le spectacle de fin d'année.

Mon cœur s'emballe. Jouer pour le spectacle de fin d'année... Cela veut dire jouer devant un public et rien que cette pensée me paralyse. A mon silence, mon professeur devine l'angoisse qui gagne mon cerveau puis mon corps tout entier.

C'est comme du poison, je le sens contaminer tout mon sang.

Je n'ai jamais joué devant quelqu'un. Je ne peux pas m'imaginer seule sur scène pour vingt minutes avec une multitude de regards sur moi. Si je suis effrayée aujourd'hui, comment serais-je le jour du spectacle ?

Je ne peux pas.

Ma phrase est courte et je l'ai dit si rapidement que je sais que je viens de me créer des ennuis car mon professeur va me demander d'être plus convaincante. Alors effrayée, je prends mes partitions dans les mains et commence à les ranger dans mon classeur.

Quand je relève la tête, je découvre mon professeur pensif. Il se gratte doucement son imposante barbe comme s'il réfléchissait à la chose la plus importante au monde. Je me lève pour couvrir mon instrument et ceci fait, je l'attrape avant de partir.

Très bien, tu me diras si tu changes d'avis ! Mais je trouverai dommage si tu ne veux pas le faire, car tu es une de mes meilleures élèves.

Je hoche la tête puis regarde ma montre. Je sais que je quitte mon cours sept minutes en avance et mon professeur a très bien compris ma raison. Il soupire puis m'adresse ce sourire qui marque toujours ses rides au front et autour des yeux. C'est un sourire auquel je me suis habituée en dix ans.

Je descends les trois étages qui me séparent de la sortie du conservatoire et aussitôt dehors, je m'engage dans la rue. Je marche rapidement. Si je ne traîne pas, je pourrais peut-être prendre le bus qui devrait arriver dans un instant.

Les écorchés - Tome 2 : Seconde chanceحيث تعيش القصص. اكتشف الآن