Chapitre 1

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-Excusez moi Votre Altesse mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

-Estienne bon sang, je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça, encore moins ici.

-Toutes mes excuses votre alt..

-Estienne !

Je farfouille dans mon portefeuille et y trouve un gros billet qu'il refuse de prendre.

-Je ne peux pas accepter, si le roi l'apprenait ...

-Il ne l'apprendra pas ! Et tu es à mon service pas au sien, non ?

Il opine du chef en baissant le regard.

-Très bien, alors je t'ordonne d'emmener ta femme dîner dans un bel endroit.

-Mais comment allez vous rentrer ?

-Je ferai comme le commun des mortels.

Il me dévisage à travers le rétroviseur mais je ne lui laisse pas le temps de se poser plus de questions. Je pose le billet sur le siège passager et sort de la voiture.

-Merci Hélios, cri-t-il avant que je ne claque la porte.

La Rolls gronde puis disparaît peu à peu dans la circulation.

Enfin libre !

Dans un tintement de carillon et une odeur de cigarette j'entre à l'intérieur du bar au coin de la rue. L'établissement est bondé de monde. Mais les clients agglutinés devant le grand écran sont trop occupés à regarder le match. Je prends ça comme une chance et m'avance vers le comptoir en descendant davantage la visière de ma casquette. Un homme d'une soixantaine d'années, aux bras couverts de tatouages vient prendre ma commande.

-Qu'est-ce que je vous sers ? Oh mon Dieu, Betty !

Il m'a reconnu, évidemment !

Comme si une pauvre casquette pouvait dissimuler l'un des visages les plus célèbres du pays. Je sors un nouveau billet et le pose sur le comptoir dans l'espoir que ça suffira pour qu'il n'attire pas plus l'attention.

-Un scotch, sans glace.

Il reste stoïque pendant plusieurs secondes mais finit par récupérer l'argent.

-C'est la maison qui offre, dit-il en me souriant de ses dents jaunes.

Je m'abstiens de lui répondre qu'avec ce que je viens de lui laisser comme pourboire c'est la moindre des choses. Il reste là à attendre que j'avale une gorgée du mauvais whisky qu'il m'a servi dans un verre terni. Je le dévisage à nouveau et enfin il comprend que j'aimerais profiter du match, seul. Son visage boursouflé se tourne face à l'écran. Je l'imite.

L'Espagne mène deux-zéro. Les clients retiennent leur souffle lorsque l'attaquant de l'équipe adverse entre dans la surface de réparation. Cinq secondes après ils hurlent de joie en voyant notre gardien arrêter la balle lancée à pleine vitesse.

Je termine mon verre et m'apprête à en commander un autre quand une silhouette dans la foule attire mon attention. C'est une jeune femme d'une vingtaine d'années. Comme tout le monde, j'ai le regard attiré vers les jolies choses et elle en est une. Elle n'a pourtant pas d'atouts particuliers, deux petites fesses, des jambes courtes, et une coiffure beaucoup trop négligée. Mais l'énergie qu'elle dégage est captivante. Vêtue d'un maillot aux couleurs de l'Espagne beaucoup trop grand pour son corps si menu, elle saute dans tous les sens en fouettant de ses deux longues tresses le visage des hommes robustes qui l'entourent.

Le barman insulte l'arbitre et sa voix gutturale me replonge dans le jeu. Je scrute le temps additionnel. Plus que six minutes etl'Espagne se qualifiera pour les quarts de finale. Les clients sont en effervescence contrairement à moi qui reste d'un calme olympien.

Nos âmes tourmentéesWhere stories live. Discover now