Chapitre 40

16 3 0
                                    

Hélios

J'ai la jambe qui tremble, les mains moites et du mal à tenir en place. La salle de bal est déjà noire de monde et au milieu de toutes ces eaux de toilettes différentes je peine à respirer normalement. Je regarde ma montre pour la cinquième fois et l'heure qu'elle affiche n'aide pas à me détendre. Effy a déjà vingt minutes de retard.

L'idée qu'elle ne vienne pas m'est insupportable. Les grandes portes en bois s'entrouvrent. Je retiens mon souffle en apercevant un jupon sombre. Mais ce n'est pas l'étoffe bleu marine que je lui ai offerte. Juste Vanessa Hidalgo qui parade fièrement au milieu des invités vêtue d'une sublime robe noire aux ornements des plus coûteux. Les hommes ne manquent pas de se retourner et les femmes de bavasser sur son passage. Mais comme si elle ne s'en rendait pas compte elle continue d'avancer dans ma direction. Á la manière dont elle me regarde je comprends qu'elle est heureuse de me trouver. Mais je n'arrive pas à faire semblant ce soir, et encore moins maintenant.

Les portes s'ouvrent à nouveau et une crinière brune se glisse entre elles. Personne ne semble l'avoir remarqué et aucun ne relève la tête. Mais moi je l'ai bien vu et désormais je ne vois plus qu'elle. Une vague de désir me submerge, mon pouls s'affole et mon sang pulse tellement fort dans mes veines que ça me fait mal. Elle est belle, vraiment très belle. Ses yeux tempête rencontrent les miens et à la lueur qui brille à l'intérieur je devine qu'elle est complètement perdue. Je dois la rejoindre. Avant même que Vanessa n'ouvre la bouche je suis déjà parti à sa rencontre.

Elle se cache derrière l'une des sculptures que je contourne. Ses iris turquoises se plantent dans les miennes et pour la première fois je ne sais pas quoi dire. Je suis hypnotisé par tant de beauté. Son anneau au nez a été troqué contre une petite fleur plus discrète, ses lèvres sont couvertes de rouge à lèvre et ses cheveux me laissent une vue sur son cou. Elle est gênée et me laisse la déshabiller du regard sans rien dire. Elle baisse les yeux la première. Son air supérieur et arrogant a disparu. Il n'y a plus qu'elle. Elle et son sourire duquel je suis en train de tomber amoureux. Je sens le regard de Felipe peser sur mes épaules et je suis sûr que Vanessa doit être en train de s'étouffer avec sa jalousie, mais je m'en moque. Ce soir il n'y a qu'elle.

-Mademoiselle Moreno, dis-je en inclinant la tête. Auriez-vous le plaisir de m'accorder cette danse ?

Comme je l'ai appris plus jeune, je lui tends une main et attends son accord. Elle me regarde un moment et finit par faire rouler ses billes turquoises.

Ce qu'elle est craquante quand elle fait ça !

Je sais qu'elle se mord l'intérieur de la joue pour ne pas pouffer de rire et ça me fait sourire. Mais elle se laisse prendre au jeu et accepte.

-Avec plaisir Votre Altesse.

Elle louche un instant sur nos mains enlacées, elle est mal à l'aise. Ce n'est pas elle tout ça. L'orchestre symphonique, les grandes robes, les courbettes et le petit personnel. Mais désormais sa main est dans la mienne et je ne compte pas la lâcher. Je la guide jusqu'au centre de la piste et ses yeux ne me quittent pas une seconde, alors que tous les autres se retournent sur son passage. Maintenant qu'elle est à mon bras les vautours sont intrigués par cette mystérieuse inconnue qui s'apprête à danser avec le prince. Une main dans le dos, l'autre dans la sienne, je l'arrête au milieu des couples qui se positionnent pour la valse traditionnelle. J'ai toujours détesté cette danse de cour rigide mais aujourd'hui tout est différent. Ses yeux sont relevés vers les miens et malgré l'envie de poser mes lèvres contre les siennes je reste concentré. Je glisse une main dans le creux de son dos et elle frissonne. Je souris et elle me toise sévèrement. Elle est stressée. Pourtant elle a bien appris sa leçon et sait exactement ce qu'elle doit faire. Sa main se pose sur mon épaule et de l'autre elle relève le jupon de sa robe. Je vois l'appréhension dans ses yeux quand les violons commencent à vibrer. Je lui lance un clin d'œil et la harpe se joint à cette douce cacophonie. Elle n'a pas le temps de se poser plus de questions que sans la lâcher je la guide et la mène là où je veux. Elle a les joues en feu, le souffle court et même à travers ses gants je sens que la paume de ses mains est humide. Mais je continue de la faire tournoyer au milieu des invités. Mon frère et mon père ne tardent pas à disparaître, la salle de bal aussi et les yeux océans d'Effy finissent par aspirer le palais tout entier. Jusqu'ici nous sommes obligés de rester à une distance convenable. La première partie de la valse est faite pour laisser monter la tension entre les deux partenaires. Je la fais passer d'un bras à l'autre tout en gardant une main derrière son dos. Et pour la première fois je comprends l'intérêt d'une telle retenue. Mes yeux plongeaient dans les siens je me laisse rêver à des scénarios des plus calomnieux. Elle aussi est en train de s'égarer mais elle ne veut rien montrer et reste concentrée sur chacun de ses gestes. Mais quand ma main peut enfin se libérer et l'emprisonnait je la sens frémir entre mes bras. L'écart entre nos corps se resserre et elle tente par tous les moyens de fuir mon regard. Elle ne pourra pas y arriver bien longtemps.

La deuxième partie de la valse a pour but de faire exploser toute la tension accumulée. Elle balaie l'espace autour de nous avec ses longues boucles et se retrouve à nouveau les yeux plongés dans les miens. Nous sommes à bout de souffle tous les deux et le désir d'arracher les vêtements de l'autre est clairement palpable. Mais il faut encore tenir. L'orchestre accélère le rythme et nous tournoyons de plus en plus vite. Ses yeux restent connectés aux miens pendant toute la durée de nos pirouettes. Puis les cordes ralentissent, la harpe se calme et nous arrêtons de tourner. Je resserre plus que je ne le devrais l'écart entre nos deux poitrines et à défaut de pouvoir y goûter, je dévore ses lèvres du regard. Son cœur s'emballe et son masque ne suffit pas à cacher le rose qui lui est monté aux joues. Je rêve d'aspirer sa bouche entre mes dents. Mais les mots de ma mère se mettent à raisonner.

Je dois la protéger. L'emprisonner dans mes bras et la garder cachée de tous pour pouvoir préserver la saveur de son authenticité. J'ai pris un risque en l'emmenant ici et c'est quand les invités applaudissent et que le décor réapparaît que je m'en rends compte. Mes pensées doivent trahir mon expression parce que Effy semble aussi inquiète que moi.

-Hélios est-ce que ça va ? me demande-t-elle.

-Barrons-nous d'ici.

J'ai sûrement parlé un peu trop fort mais ces mots ont raisonné comme un cri du cœur. Effy lance des œillades partout autour de nous mais je m'en moque et je répète.

-Effy barrons-nous d'ici !

-Chut ! me sermonne-t-elle.

Je ris même si mon père doit être furieux de me voir si mal me comporter en public mais je n'y peux rien. Cette fille fait ressortir ce qu'il y a de plus beau en ce monde, la spontanéité. Toute ma vie ont m'a dit ce que je devais faire, comment je devais parler et qui je devais fréquenter. J'ai fait en sorte de prendre sur moi et jusqu'ici j'ai toujours réussi à jouer le rôle que l'on m'avait attribué. Mais aujourd'hui je ne peux plus. Je n'arrive pas à me tenir correctement quand elle est avec moi. Elle a cette capacité à gommer le prince que je joue pour dévoiler l'homme que je suis. Je ne veux pas qu'elle se retrouve au milieu d'un scandale alors je réprime l'envie de la toucher et m'autorise seulement à attraper sa main du bout des doigts.

-Emmenez-moi dans les bas-quartiers Mademoiselle, je m'étouffe ici.

Si jusqu'ici elle portait le costume de la femme parfaite en tout point, maintenant son air coincé disparaît. Un sourire en coin se dessine et son regard s'attendrit. 



-Allez viens on y va.

Nos âmes tourmentéesTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang