Chapitre 14

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Elena



J'astique une dernière fois la boule de métal qui contient la fréquence radar. Un travail rondement mené et bien terminé. Ce n'était pas quelque chose de difficile à réparer, mais on aurait pu avoir plus de difficultés et devoir changer une des antennes de la base. Fort heureusement, Chan est un ingénieur brillant qui connaît ses outils dans les moindres détails.

Au point, apparemment, de leur donner des noms féminins.

— Merci beaucoup, Elena.

Je suis toujours accrochée en haut du petit escalier mobile, un bras en l'air, quand je lui réponds :

— Je vous en prie. Je n'ai fait qu'ajouter mon œil expert à vos qualités.

Et c'est sincère. Quand un collègue effectue un bon boulot, je le souligne. C'est important la confiance en soi. Même si je peux paraître prétentieuse aux yeux de certains, j'ai de la chance d'avoir confiance en mes compétences. Je sais ce que je veux et ne veux pas. C'est, en partie, parce que je me suis forgée un bouclier puissant pendant des années dans un milieu d'hommes. Que ce soit mes études, mes stages ou mes alternances. Même encore lors de mon premier projet de recherches à la NASA sur la vitesse d'absorption des trous noirs. J'ai toujours été entourée d'hommes. Des collègues appréciables, comme des plus lourds qui me prenaient de haut. J'ai appris à leur prouver que j'étais leur égale. C'est ce qui m'a aidé à créer cette carapace de confiance et qui me permet aujourd'hui, du haut de mes vingt-sept ans, d'être fière de moi.

Tout du moins, de l'astrophysicienne que je suis.

Autant, je suis en parfaite connexion avec moi-même dans le corps de mon métier, autant dans la vie personnelle, c'est le vide – pour ne pas dire le néant. Malgré mon irritation à l'avouer, cette partie de moi est mise à rude épreuve depuis que je suis ici. Être seule, coupée du monde, n'avoir que trois personnes dans mon entourage pendant un mois entier ? Ça me rappelle à quel point je me sens seule dans ma vraie vie, au Texas. J'ai mon père, Angélique, et les autres membres de notre équipe.

Mais je suis seule, au fond de moi. Je ne parle à personne de mes angoisses, de mes réussites, de mes sentiments. Je n'ai que ma propre voix intérieure.

J'arrête subitement de mastiquer la boule de fer. Je ne sais pas si c'est ce que j'ai appris sur Ian et son incapacité à travailler avec des femmes qui me rappellent ma situation, ou si c'est autre chose qui me fait réaliser ma solitude. Je le savais déjà, mais... Pourquoi ?

Perdue dans mes pensées, je ne me rends compte que trop tard de l'absence soudaine de Chan. Je m'apprêtais à lui demander de m'aider à descendre, mais il a disparu. Je sors le talkie-walkie de ma poche arrière pour essayer de le joindre. Manque de chance, je ne parviens qu'à capter le bruit strident de la fréquence sourde.

Je commence à avoir la tête qui tourne à être restée trop longtemps, sans protections, sous le soleil tapant d'altitude. Je soupire et tente de descendre à reculons, toute seule, comme une grande. Il a dû avoir une envie pressante ou quelque chose comme ça. Ou encore, un appel que je n'ai pas entendu, perdue dans les limbes de mes réflexions.

J'y vais lentement, à mon rythme pour éviter de tomber en arrière. C'est qu'ils sont glissants ces escaliers. Ou est-ce l'humidité du lieu qui les rendent ainsi ?

Pas après pas, je gravis les marches. Mais malgré ma vigilance, le bout de mon pied dérape sur la deuxième et mon corps manque de valdinguer vers l'arrière. Deux mains me rattrapent de justesse sur mes hanches.

Les étoiles dans tes yeuxWhere stories live. Discover now