Chapitre 36

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Elena


Après une bonne nuit de sommeil, trois ou quatre pots de glaces avalés et un concert de Metallica visionné deux fois, je me glisse sous une douche fraîche pour réveiller mes muscles.

Call m'a aidé à porter mes cartons avec son compagnon, il y a deux jours. J'ai enfin eu la chance de le rencontrer. C'est un homme qui son humour bien à lui et qui est très généreux. Je suis sûre que ses élèves doivent beaucoup l'apprécier.

J'espère, en tout cas, avoir fait ces cartons sans devoir les défaire bientôt.

Je passe une partie de la journée à planifier mon nouveau travail, organiser quelques tâches que j'aimerais réaliser en premier lieu. Je souris en les détaillant sur mon fichier ordinateur. Robinson n'aurait pas pu me faire une meilleure proposition, en espérant que Ian acceptera d'être avec moi dans cette nouvelle vie. Si ce n'est pas le cas, je me ferais muter dans un autre observatoire, bien sûr, mais je garderais ce poste.

Parce que ma place est là, maintenant. À l'observation.

Cette pensée me réjouit et efface un peu la tristesse de ces dernières nuits.

Le reste de la journée, je m'affaire à construire et installer le télescope de grand-père que papà a accepté de me donner pour mon petit jardin. Bon, il n'est pas aussi grand que mon ancien à Houston, mais il est suffisant. Je galère à fixer certaines jointures et je faillis faire tomber plusieurs fois la lunette. Je ne suis décidément pas faite pour le travail manuel.

Une fois que j'ai terminé d'asticoter l'instrument, le soleil entame son coucher du soir. Je tire deux chaises de transat pour qu'elles soient placées côté ouest, face au télescope. Puis, une petite table basse entre les deux. Je ne suis pas une pro de la décoration, mais ça fera l'affaire pour l'instant.

— Elena ?

Boum

Je sursaute en entendant sa voix. Ian apparaît derrière la maisonnette et s'approche en me découvrant dans le jardin. Les bras m'en tombent. Il a troqué sa blouse de laboratoire pour une chemise à carreaux rouges ouverte sur un t-shirt blanc. Je l'ai rarement vu si décontracté et civil. Bon, certes, je l'ai vu nu et c'est une tout autre chose. Mais là, ç'a quelque chose de plus... intime.

— Bonsoir, Ian.

Sans un mot, ses pas l'amènent jusqu'à moi. Il brandit la clé devant lui et sourit timidement. C'est une réaction totalement différente d'il y a 72 H qu'il me présente. Rien à voir avec la rancune et le déchirement que je lisais.

— J'ai failli louper la rue, déclare-t-il.

— Ah. Oui.

Je ne sais pas trop quoi dire. Je ne m'attendais pas à un revirement aussi brutal. Qu'est-ce qui a bien pu le faire changer d'avis ?

Une brise vient soulever les mèches sur son front. Mon cœur bascule à ce détail. J'aimerais fourrer mes mains dans ses cheveux et l'embrasser. Mon rythme cardiaque est douloureusement irrégulier.

Ian triture l'objet métallique et le bout de papier entre ses doigts avant de se jeter à l'eau :

— Pourquoi tu m'as donné cette clé ?

— Parce que ça pourrait être chez toi. Chez... nous.

Ses yeux se redressent vers moi et plongent dans les miens.

— Tu as les paupières bouffies.

— Toi aussi, rétorqué-je.

Nous nous sourions, tristement. Je croise les bras contre ma poitrine et lui explique :

— Robinson m'a fait une proposition de poste, un peu après mon retour.

— Ah.

— Il m'a proposé de venir faire de la recherche ici. À l'observatoire Cerro Pachon. Je pourrais continuer mes travaux sur les quasars, en mélangeant un peu d'observation et l'aide des ingénieurs avec les filtres, parce qu'on a tous comprit que l'instrumental et moi, ça faisait deux.

Ian en reste bouche bée. Ses joues tremblent tandis qu'il retient un large sourire.

Il cache sa joie, ce petit arrogant !

Mais j'en fais tout autant et évite d'éclater de rire tellement je suis heureuse et comblée par sa réaction et sa venue jusque dans cette maison.

— Et tu as acceptée ?

— J'ai accepté le poste, oui. J'ai également acheté ce petit terrain, conclus-je en le montrant d'un geste de la main. Qui, j'espérais, aurait pu être le nôtre... Mais, j'ai bien compris que j'étais revenue trop tard.

Son soupire est éloquent.

— Ce n'est pas...

Ses épaules s'affaissent et il relève le menton pour me regarder droit dans les yeux.

— Je t'aime aussi, Elena.

BoumBoumBoumBoumBoumBoumBoumBoumBoumBoumBoumBoumBoumBoum

— Tu m'as fait un mal de chien. Je t'en ai voulu de m'avoir laissé tomber. Je m'en suis même voulu à moi d'avoir peut-être fait ou dit quelque chose qui t'aurait fait fuir.

— Non, je-

— Laisse-moi terminer, s'il te plaît, me coupe-t-il avec douceur.

Je souris malgré moi et acquiesce.

— Hier soir, quand tu es revenue, je me suis dit « enfin, les choses vont être différentes, on va m'aimer pour qui je suis ». Mais j'étais en colère, j'étais en confusion avec moi-même, entre le ressentiment et la vérité. Une fois la porte refermée, j'ai eu l'impression qu'on m'écrasait par terre. En fait, je suis même ressorti et j'ai vu ta voiture prendre la route. J'ai beau ne pas pouvoir effacer ce que j'ai ressenti pendant des semaines et la douleur de t'avoir vu m'abandonner... Je t'aime et je ne veux pas refuser cette vie que tu me proposes à tes côtés.

Je ne me rends compte qu'une fois ses lèvres closent, des larmes qui roulent sur mes joues. Je m'esclaffe tandis que son corps se rapproche du mien et que ses mains se posent sur mon visage humide.

— J'accepte que tu sois ma Saturne, Elena Dawson. Si tu me promets de ne plus me faire ce coup-là.

Sous mon sanglot mélangé à un rire étrange, la bouche de Ian capture la mienne. Nous nous imbriquons parfaitement, ses bras autour de mon dos et les miens autour de sa nuque. Un torrent d'émotion m'engloutit pour mon plus grand plaisir.

J'ai pris un gros risque. Le genre de risque que jamais, je n'aurais pensé prendre. Si on m'avait dit, il y a six mois, que j'allais trouver l'amour, trouver résonance en quelqu'un et découvrir un épanouissement nouveau dans mon travail aux côtés de cette personne, je leur aurais ris au nez.

Comme quoi, les chiffres ne prévoient pas toujours tout.

Je serais peut-être loin de ma famille, de mon équipe, même si nous aurons toujours les moyens numériques pour nous voir et nous parler. Mais je serais avant tout, et surtout, comblée dans ma vie et dans mon travail. Et ça, ça n'a pas de prix.

Nos lèvres rougies et nos souffles court, nous nous reculons doucement. Front contre front, cœur contre cœur, je souris et il me sourit.

— Tu sais ce que moi j'ai aimé en premier chez toi ?

Je remue la tête.

— Les étoiles dans tes yeux.

Boum

Je prends son visage en coupe et observe chacun de ses traits avec attention. Je repense à la première fois où j'ai pensé la même chose de son regard à lui. J'imagine que la passion pour l'astronomie, c'est une passion unique.

— Quel charmeur, le taquiné-je.

Il m'embrasse en riant, sous les premières étoiles de la nuit et la lune brillante.

Les étoiles dans tes yeuxWhere stories live. Discover now