Chapitre 24

47 5 3
                                    


Elena



J'ai dormi avec Ian toute la nuit. Je ne sais pas pourquoi, je trouve ça plus intime que de coucher avec lui. Dormir avec quelqu'un, c'est comme lui dire oui à tout. C'est comme se confier, avoir une totale confiance en l'autre. C'est le moment où on est sans doute le plus vulnérable. On ne doute de rien, on se repose paisiblement. L'autre personne peut faire tout ce qu'elle veut de nous. Ou simplement, comme lui avec moi, être apaisé à côté.

Je suis réveillée la première et j'attends qu'il ouvre les yeux. Son souffle est tranquille. Sa poitrine se soulève à un rythme lent et sa bouche est légèrement entrouverte. Si de la bave en sort, je crois que je ne parviendrai pas à me retenir de glousser.

Les premiers rayons de soleil pénètrent dans ses yeux cristallins, lorsqu'il les ouvre enfin. Les petites paillettes dans ses iris s'illuminent et son regard s'adoucit en me reconnaissant.

Un moment hors du temps, entre lui et moi. Nous ne disons aucun mot. Nous nous observons, nous nous scrutons, nous nous analysons.

Il recale ses deux mains sous sa tempe et me sourit doucement. Je le lui réponds de la même manière, mon doigt caressant sa joue gauche. Je suis les traits de son visage avec curiosité. Il a la peau si douce après s'être rasé. La teinte particulière de sa peau, un mélange pâle et 'olive, ressort sous la lumière du jour. Ses cils papillonnent à mon contact et mon cœur s'emballe. Avoir un tel effet sur une personne satisfait non seulement mon ego, mais m'apporte aussi un bonheur incomparable.

Le regard qu'il a pour moi est si doux et réconfortant. Quand je plonge mes yeux dans les siens à cet instant, j'ai l'impression de pouvoir lui ouvrir mon cœur, de pouvoir le laisser entrevoir mon âme sans aucune peur. Je ne sais pas si j'avais déjà été capable de ressentir ce sentiment pour une autre personne que Ian.

Est-ce pour cette raison que je peux parler... d'amour ?

La simple idée d'être amoureuse de lui effleure mon esprit et pour la première fois, résonne en moi avec vérité.

Pourtant, je vais partir et il sera seul. Du moins, jusqu'à ce qu'il me trouve un remplaçant ici.

L'imaginer seul, déambulant dans l'observatoire vide, tel un fantôme dans sa blouse blanche. Sans personnes à qui parler. Sans éclats de joie, parce qu'il sera triste. Je le sais, je le sens, je le vois.

Tandis que je pose ma paume à plat contre sa joue et que je m'imprègne de sa chaleur, je demande :

— Est-ce que le temps ne pourrait pas s'arrêter pour une fois ?

Un unique murmure qui suffit à contracter sa mâchoire. Je devine qu'il pense à la même chose que moi : mon départ. Mais je n'en suis pas certaine.

— Moi, j'ai une autre question.

Je fronce légèrement les sourcils et baisse ma main jusqu'à frôler ses lèvres.

— Je t'écoute.

— Et si on restait là, dans le lit, toute la journée ?

Un sourire étire mes lèvres.

— J'aimerais moi aussi. Mais on a une présentation à terminer.

— Pourquoi me parais-tu peu convaincue par tes propres paroles ?

C'est ça, taquine-moi. Continu...

Ça va tellement me manquer.

Mon palpitant se contracte dans ma poitrine. Je retire ma main de son visage et la range sous ma tête, comme pour cacher les débuts de tremblements qui m'assaillent.

— Eh bien, restons jusqu'à midi, au moins.

— Deal.

Nous nous sourions à nouveau.

— Comment tu as atterri ici ? Tu ne m'as jamais raconté, l'interrogé-je en réajustant ma position sur l'oreiller.

Il plisse les yeux pour faire mine de réfléchir, son air toujours taquin illuminant ses traits.

— Je dirais que j'ai postulé dès que j'en ai eu l'occasion. Mon rêve était de travailler dans un observatoire. Avoir un télescope rien qu'à moi, faire des mesures tous les jours pour avoir la chance de voir évoluer l'Univers. Les années-lumière, moi je ne les ai pas. Alors, quand je peux avoir la chance d'observer la naissance d'une étoile, c'est le plus beau moment de ma vie.

Ses mots sont exprimés calmement, mais avec une telle passion que je me sens presque électrocutée. Il a une ambition si à l'opposé de la mienne que j'ai à la fois le sentiment de le comprendre et à la fois l'impression qu'on ne vient pas du même monde.

— Personne ne voulait venir ici. Enfin, personne avec mes compétences, je veux dire.

— Tu m'en diras tant, admis-je en levant les yeux au ciel.

Ian s'esclaffe en remuant le matelas sous nos corps.

— Est-ce que tu regrettes finalement ?

Boum

Je ne m'attendais pas à cette question. Mon sourire s'efface sans que je puisse le contrôler. Il le remarque, évidemment.

La première réponse qui me vient est : je ne sais pas. Mais comment lui répondre ça ? Je sais qu'il s'attend à m'entendre dire que non, je ne regrette pas. Sauf que je n'en ai foutrement aucune idée. Oui, c'est vrai, j'ai trouvé quelque chose de précieux avec lui. Je me suis enfin avouée le déni dans lequel je vivais après la mort de mon grand-père. J'ai réappris à aimer la passion qui m'a toujours habité pour l'Espace, le grand, l'inconnue, le magique.

Mais ma vie est ailleurs et je n'ai qu'une hâte : retourner à la recherche. Revoir mon équipe, me remettre à traquer des trous-noirs. Retrouver mon père et Angélique.

Mon chez-moi.

Je pince les lèvres et déglutis. Je n'ai cependant pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il me devance :

— Je comprends.

Il cligne des yeux et grimace.

— Ton salon de massage préféré te manque. Tu sais, je ne sais pas si je suis très bon pour les massages, mais je te propose d'essayer un jour pour voir.

Oh qu'il m'énerve !

Je lève les yeux au ciel et le coupe en attrapant sa nuque pour coller ses lèvres aux miennes. Sa bouche me dévore sans vergogne.

Il joue la carte de l'humour, mais je suis certaine qu'il a compris ce qui se cachait derrière mon silence. Autant ne pas gâcher le peu de jours qu'il nous reste à passer ensemble en parlant de ce qui est douloureux.

Le soir, nous terminons d'élaborer comme prévu notre présentation. Nous avons rendez-vous demain avec monsieur Robinson, après le déjeuner. Je me suis mise en tête de ranger un peu nos bureaux et tous les paquets de chips vides ou entamés qui traînent – au cas où la caméra lors de notre entrevue pointe malencontreusement dans cette direction. Ian se moque de moi quand je fais le tour de la grande pièce avec mon balai.

— C'est ça ! Fais le malin ! Dis, tu ne veux pas prendre ma place, par hasard ?

Il lève les mains en signe de défense et secoue la tête.

— À vous l'honneur, madame Dawson.

— Si j'entends le moindre sous-entendu sexiste, tu ne vas pas aimer où va finir le bout du manche à balais, mon petit.

Faussement effrayé, Ian prend ses jambes à son cou et se terre dans son studio, le temps que je termine le ménage. Une fois sa porte fermée, je relâche mon fou rire. C'est un gamin, mais son humour a fini par me contaminer. La loi de l'amour, j'imagine.

Je le retrouve pour dîner et nous nous endormons à nouveau ensemble dans son lit. Moi, blottis contre lui, et ses bras autour de mon corps pour me protéger du monde extérieur.

Les étoiles dans tes yeuxWhere stories live. Discover now