Chapitre 28

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Elena



Je resserre mes lacets avant de me redresser pour vérifier ma queue de cheval.

— La course. Vraiment ? réagit Ian en comprenant l'activité à laquelle je l'ai convié.

Eh oui, mon petit, le sport, c'est la santé !

Je ricane toute seule et commence à tapoter le sol en petit saut sur place. La terre ocre et poussiéreuse des montagnes chiliennes s'évapore sous mes coups. J'avais envie de courir avec lui, aujourd'hui, pour mon dernier jour. Une activité qui me fait du bien, une partie de mon cocon. Je suis certaine qu'un peu de sport en plein air ne lui fera pas de mal, lui qui a l'habitude de rester enfermé dans son observatoire.

Je sais qu'il a un tapis de course et, certain soir, je l'entends marteler la machine. Mais rien ne vaut l'ardeur du soleil sur notre peau, la brise légère qui nous rafraîchit et la satisfaction d'avancer sur un chemin jusqu'au bout.

Je lui souris de toutes mes dents tandis qu'il plisse les yeux à cause des rayons UV.

— Oui, vraiment.

Il grimace en étudiant la vue depuis notre sommet. Je suis son regard et une pointe de nostalgie m'envahit. Ce paysage me manquera beaucoup. Courir avec une vue si majestueuse et si désertique qu'on se croirait sur une autre planète, seuls au monde, est unique.

Mon souffle se comprime dans ma poitrine.

Beaucoup trop de choses vont me manquer.

— Je suis très sensible au soleil, argumente-t-il.

Je me retiens d'éclater de rire face à son petit air innocent et lève les yeux au ciel. Je sais quand il ment. Je connais cette petite voix suraiguë qu'il exploite pour me faire culpabiliser quand il veut.

Ça aussi, ça va me manquer...

— Bon, tu veux perdre ou gagner ? Là est la vraie question, cher Ian.

Son sourcil tic et son sourire taquin dont je raffole réapparaît.

— Serait-ce une menace, chère Elena ?

Je hausse une épaule. Le défi qui n'insinue en moi provoque une accélération de mes battements de cœur. Une concurrence en tout bien tout honneur. Une astronome et une astrophysicienne. Ç'a toujours été ainsi. La réalité contre le rêve.

Il acquiesce pour toute réponse et se positionne à mon côté, prêt à foncer droit devant. Mon sourire ne quitte plus mes lèvres. Je lance le compte à rebours et le départ.

— GO !

Ni une, ni deux, il est le premier à écraser la route par la force de ses mollets. Nous traçons le chemin à vive allure. Nos muscles s'échauffent et nos rires se mêlent au martèlement de nos semelles contre le sol. Je suis rapide, il me rattrape difficilement. Je ne lui laisse aucune chance à l'avant-dernier virage, dévalant la montagne sans me retourner.

Le vent fouette mon visage. Je prends une large inspiration. Cette liberté-là, n'est pareil à aucune autre. La sensation d'avancer, d'être dépeuplée, d'être soi-même le temps de quelques minutes, le corps en ébullition.

J'atteins la ligne d'arrivée la première, en levant les bras en l'air et criant ma joie.

— C'est pas juste ! l'entends-je hurler derrière.

Ian dévale la montagne, le pas traînant, le souffle saccadé et manque de trébucher lorsqu'il me rejoint. Le pauvre. Je suis cruelle. Mais ça, c'est le vrai course, bien loin de son tapis parfaitement adapté à son rythme et à ses chaussures. Le terrain, il n'y a rien de plus réjouissant que de gravir ou dévaler une montagne à la force de son esprit et de ses muscles. Au Texas, nous n'en avons pas beaucoup, certes. La plupart du temps, je me contente de quelques foulées en croisant mes voisins et leur chien. Ici, j'ai découvert un réel plaisir de dépassement que je n'aurais cru.

Tu vois, tu dois rester, m'assène ma conscience, enfonçant un peu plus le couteau dans la plaie.

Je secoue la tête tandis que Ian se repose, les mains sur ses genoux. La mienne est posée sur mon cœur qui bat trop vite.

J'ai pris ma décision, je ne reviendrais pas dessus. Trop de paramètres sont en enjeux et mes envies sont ailleurs. Ce n'est pas la peine que je continue à me triturer l'esprit avec.

Il s'approche de moi lorsque son souffle se calme et lui permet de remarcher. Ses paumes chaudes prennent mon visage en coupe et il m'embrasse par surprise. Je suis toute transpirante ! Ce qui ne semble pas le gêner, car il m'agrippe par la hanche pour appuyer ma poitrine à son torse, recouvert de son t-shirt humide. C'est dégouttant et tellement... sexy. Nos lèvres se cherchent, se dévorent, sous un soleil brûlant.

Les mains de Ian me lâchent soudain et la seconde suivante, il s'envole dans le chemin inverse.

Je rêve !

— Tricheur ! hurlé-je avant de courir le rattraper.

— Tu t'es laissé distraire, je n'y suis pour rien !

Oh, il va voir !

J'accélère du mieux que je le peux, compte tenu de la distance que ce traître a mis entre nous, le temps que je réalise son stratagème. Il n'y a vraiment que lui pour faire ce genre de gaminerie.

Mais, j'adore. Je l'adore.

Malheureusement pour Ian, j'arrive tout de même la première à l'observatoire en traversant son côté à vive allure. Ayant donné tout ce que je pouvais, et même plus, une fois à l'intérieur, je m'étale sur le carrelage froid. Ian se jette à côté de moi en éclatant d'un rire contagieux. Quel fou.

— Vous êtes invincible, mademoiselle Dawson.

Mon sourire s'élargit...

— Rien ne peut vous détruire, conclu-t-il.

Si, mon amour pour toi.

... et s'efface aussitôt. Je tourne la tête vers la sienne et observe ses traits essoufflés. Les paupières closent, il reprend doucement sa respiration.

J'aime son visage. Celui qu'il a redouté toute sa vie, dû à son passé et de ce que les gens espéraient de lui, à tort.

Ian, je l'ai trouvé beau intérieurement dès le début. J'ai été surprise par sa beauté physique, oui, car je ne m'attendais pas à rencontrer quelqu'un avec une tête de mannequin ici. Ce sont ses qualités intellectuelles et sensibles qui m'ont fait chavirer en premier.

Dans son regard, j'y ai lu une passion magnifique. Dans sa sensibilité, j'ai rencontré un homme unique. Et, dans ses blagues pourries, j'y ai découvert un être attentionné malgré tout ce qu'il a dû affronter avant d'atteindre son rêve.

C'est chez lui ici. Je ne pourrais jamais lui demander de tout abandonner pour moi. Je ne peux pas lui faire ça.

Mes doigts, sans que je m'en rende compte, atteignent sa joue et la touche comme s'il s'agissait d'un objet fragile. Il l'est, et je vais bientôt le briser en mille morceaux.

Mon cœur fait écho à mes pensées. Une larme roule le long de ma tempe avant de s'échouer sur le sol sur lequel nous sommes allongés.

Ian pivote dans ma direction.

— Elena ?

— C'est rien, le coupé-je avant qu'il n'ait le temps de dire quoi que ce soit.

Mon index se pose sur sa bouche et je ferme les yeux en souriant. J'essaie de toutes mes forces de retenir la vague de sanglots qui remonte du plus profond de mon être.

Je ne peux plus affronter son regard plus longtemps. Sans un mot, je me relève et file prendre une douche dans mon studio. Je libère mes pleurs ainsi, en silence, dans mon appartement, seule.

Le soir, après n'avoir rien pu avaler, je le rejoins dans son lit et me blottis sous ses bras. Il me cale contre lui et me serre avec chaleur. J'aimerais rester ainsi pour toujours, oubliant mes obligations, ma carrière et les enjeux qui en découlent. Oublier le monde extérieur.

Je veux simplement, cette nuit, rester là-haut, dans les étoiles, avec l'homme dont je suis douloureusement amoureuse.

Oublier ce qui nous attend lorsque le soleil se lèvera.

Les étoiles dans tes yeuxWhere stories live. Discover now