Par-delà la mort

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La torche s'abat sur les cadavres déchiquetés, ensanglantés et les flammes brûlent tout sur leur passage, ravagent les corps inanimés des soldats d'Aerador. 

Wanda regarde tout le processus. Elle a toujours regardé les cadavres se transformer en énormes brasiers sur les champs de bataille. Elle imprègne chaque visage défiguré, chaque trait encore distinct dans son esprit. Parfois, elle reconnaît certains soldats elle-même, sans attendre la liste des disparus au combat, et elle se transporte de maison en maison, de famille en famille pour annoncer la mauvaise nouvelle. Aithan juge qu'elle ne devrait pas faire cela, que son rôle s'arrête là où commence celui des gardes royaux. Elle est Princesse et Générale, après tout. Elle doit se concentrer sur la guerre et sur les conflits à venir, pas sur le passé et les pertes. 

Pourtant, les pertes, elle ne pense qu'à cela. Nuit et jour, elle est hantée par ces visages, par ces mains qui apparaissent au travers de ces mares de sang. Elle n'oublie aucun nom et les a même appris par cœur. Du moins, c'était vrai, avant. Avant que la liste ne s'allonge. Avant qu'elle ne prenne même plus le temps de connaître ces noms, de rencontrer ces hommes qui la servent. Ils débarquent dans son armée un jour et le lendemain, meurent pour sa cause. La cause de la liberté, bien sûr, du libre-arbitre. Elle sait que, souvent, Aithan la tient à l'écart de ses soldats. Il l'empêche de temps en temps d'organiser des réunions avec les bataillons, ne serait-ce que pour les saluer, les remercier ou même leur serrer la main. Pour lui épargner la souffrance qui s'ensuit. Mais, la souffrance vient constamment. Sinon, elle pourrait dormir en paix. Sinon, elle ne ferait pas autant de cauchemars. Sinon, elle se sentirait digne de sa position.

Or, Wanda ne fait pas partie de ces monarques trop apeurés qui se remettent en question toutes les semaines et pense que leurs défaites leur reviennent, que c'est de leur faute ; ni de ces monarques trop fiers pour accepter leurs échecs et cracher sur leurs soldats qui auraient mal guerroyé. Elle s'est concentrée sur sa mission, héritée de son droit de naissance. Elle s'est entraînée toute sa vie, elle est devenue l'une de plus puissantes combattantes de sa nation, et une Princesse qui en ferait pâlir de honte d'autres jeunes filles de Roi. Elle a refusé de déléguer ses tâches et a endossé très tôt le rôle de Générale, malgré l'opposition d'Aithan. Elle a développé sa magie au point de pouvoir anéantir tout un escadron d'Orcs en moins d'une minute. Elle n'a de compte à rendre à personne. Elle s'est battue pour son royaume et il n'a pas encore sombré entre les griffes cruelles de Mabel. En cela, elle est adulée de son peuple et louée par ses hauts-gradés, encouragée par tout le monde autour d'elle à continuer. En réalité, elle n'a pas l'impression que quiconque attend d'elle de vaincre l'Impératrice de la Nuit...parce qu'ils se doutent tous qu'elle n'y parviendra jamais et ils sont seulement heureux qu'elle tienne tête si longtemps à ce Fléau de l'Est. 

En quoi devraient-ils s'en réjouir ? songe-t-elle. Plus la guerre se perpétue, plus les cadavres s'entassent et brûlent. Il n'y a pas de quoi s'émerveiller. 

Soudain, une lumière brille à côté d'elle. Une minuscule créature à l'aura bleutée volette autour d'elle et se pose même sur son épaule. Wanda la salue avec le plus grand respect, ayant bien conscience que cette jolie fée a volontairement rejoint son camp sans négociation, ni promesse quelconque et qu'elle l'aide autant qu'elle le peut, bien que cette guerre ne concerne pas le petit peuple. Vêtue d'une brassière à la poitrine et d'une jupe longue de couleur similaire que sa magie, Vita replace ses mèches rousses en lui faisant les yeux doux. Elle aime plaire et s'attirer les bonnes grâces de tous ceux qu'elle croise. De sa voix nasillarde, elle lui retranscrit les paroles d'un autre, mot pour mot : 

— Quelles nouvelles du front, Générale Creighton ? 

Puis, Vita rajoute de sa vraie voix :

— Ton conseiller était fort impatient, jeune Princesse. Il a failli m'envoyer trois fois, il y a deux jours, hier et trois heures avant mon départ. Dis-lui vite qu'il peut se détendre, ou je ne retiendrai plus mes paroles acerbes la prochaine fois.   

La Dame de la MortWhere stories live. Discover now