Le Tournoi des Seigneurs

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Wanda n'a pas été surprise une seule seconde d'apprendre qu'un individu du même sang que Mabel, de sa lignée et donc de sa famille proche, foule actuellement le sol de son territoire. Cela la rend malade de savoir désormais de source sûre qu'un tel être vit et respire l'air d'Aerador, et elle compte bien le débusquer d'une façon ou d'une autre. 

En réalité, après le rapport détaillé de Caedmon, que la jeune et jolie Adaline a écouté du début à la fin avec un intérêt et un effroi grandissants à chaque mot de plus, Wanda s'est repliée dans ses pensées et elle a établi les liens nécessaires... D'abord, elle a confirmé la trahison de Steros. Elle s'en doutait, évidemment, mais elle espérait que cette femme retrouve la raison d'une minute à l'autre et que la Princesse n'ait pas à l'arrêter pour haut crime envers la couronne. Des espions de Mabel se sont infiltrés au Palais d'Argent, pourquoi en serait-il autrement pour Yezajia et pour toutes les autres places fortes d'Aerador ? Peut-être qu'à cette heure, ses territoires sont jonchés de soldats impériaux prêts à dévoiler leur véritable nature et à détruire tout ce pour quoi elle s'est battue jusqu'à présent. 

— Wanda, que penses-tu de celui-ci ? 

Elle ignore royalement Dante Stein et ses va-et-vient incessants dans sa chambre, devant l'âtre qu'il a insisté pour faire apparaître d'un coup de main par un puissant magicotecte. Elle n'a personnellement jamais ressenti le besoin d'ajouter des flammes dans ses appartements privés. Wanda ne s'est sûrement pas rendu compte du froid glacial qui a régné dans sa chambre toutes ces années. C'est lui qui a mis en lumière ce point en se plaignant sans arrêt. 

En plus de la trahison limpide de Steros, Caedmon lui a apporté la preuve que la rébellion s'est ancrée jusque dans le cœur des élèves et elle suspecte déjà certaines familles de s'être alliées à Mabel, puis d'avoir converti leurs enfants à la cause de l'ennemie. Wanda ne parvient même pas à les haïr ou à développer du ressentiment envers ces félons. La plupart se sont retournés contre elle et contre Aerador dans l'espoir vain et fou que l'Impératrice de Fedgarth se montrera clémente à leur égard. Ils l'ont fait pour se sauver eux, et aussi, dans quelques cas, pour sauver le peuple de cette guerre trop longue et trop dévastatrice. Comment peut-on réquisitionner l'aide de jeunes gens dans la fleur de l'âge, en pleines études ? Elle ne les punira pas. Delarosa a, par ailleurs, chuchoté des noms à son oreille pour que Nox n'entende pas et dans ses yeux, elle a lu une supplique silencieuse : quoi qu'elle décide, qu'elle leur offre une fin rapide, par la mort ou le bannissement, ou l'ignorance, qu'elle n'en fasse pas des exemples, de bêtes de foire châtier pour imposer sa loi. Bien sûr qu'elle n'abattrait pas sa colère sur ces garçons et ces filles démunis, forcés par les doctrines de leurs parents à agir contre le bien de leur école. Soit ils ne s'aperçoivent pas des conséquences de leurs actes, soit ils ont trop bien été aveuglés pour s'en préoccuper. 

— Et celui-là ? Oh, Creighton, je tiens quelque chose !

Dante s'agite dans son coin, sautillant avec le sourire d'un jeune homme heureux, à l'apparence radieuse...comme s'il n'avait pas servi Mabel, comme s'il n'avait pas couché avec elle depuis des mois et des mois, des années à baiser chaque partie de son corps selon ses désirs, à prier pour qu'une personne le délivre de cette emprise, que les Faes viennent le sortir de là, qu'Aerador gagne la guerre, qu'il puisse s'enfuir sans craindre de représailles ou que la mort ne le frappe avant qu'il ne soit complètement détruit. Et le voilà, dans sa chambre, au sommet d'une tour du Palais d'Argent, une liasse de parchemins en main, marchant en rond devant le feu qu'il a réclamé, en présence d'une Princesse à qui il sourit avec insouciance et fierté. Wanda n'avait pas compris au bal des donateurs pourquoi il lui apparaissait le plus honnête de la salle. Non seulement il ne peut mentir à cause de son ascendance, mais, en plus, il ne donne l'impression de le vouloir. Il dit ce qu'il pense quand il le pense et s'il sent que ses vérités déplairont, il se contente de se taire. Il a survécu ainsi à la Cour de la Nuit. Elle détesterait que quiconque la prenne en pitié – Aithan le fait souvent, à la regarder avec tendresse et compassion, à soupirer à sa vue ou lors de décisions compliquées, et elle ne l'a jamais supporté – alors elle s'efforce de calmer l'élan de peine qui jaillit en elle en le voyant aussi enthousiaste et libre, tout en conservant cette part de vulnérabilité dont il ne se libérera jamais. 

La Dame de la MortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant