La Dame de la Mort

Le corbeau dans le château

Adaline se sent extrêmement honteuse. Bien sûr que non, elle ne manque pas les cours de Wanda Creighton parce qu'elle cherche à fuir son ennemi juré, l'idiot pervers et sadique qui a tenté de la tuer dans un fleuve gelé pour ensuite prétendre avoir voulu la soigner. Non, bien sûr que non ! Elle a terriblement honte de retourner auprès des Sentinelles et d'affronter la Princesse. Cette femme représente toutes les valeurs qui lui importent, toute la sagesse et la combativité qu'elle admire. Elle n'en revient toujours pas d'avoir piqué une crise devant elle, puis d'avoir laissé Caedmon dévoiler son secret bien gardé devant tout le monde. Elle le déteste.

Bien sûr qu'elle ne l'évitait pas. Au contraire, Adaline ne s'est pas efforcée de mettre de la distance entre eux, la distance est venue d'elle-même en guise de conséquences, puisque la jeune femme a décidé de se venger. Certes, il l'a sauvée au deuxième soir de la bataille. Certes, il l'a soignée l'autre soir. Certes, il ne donne pas l'impression de souhaiter la destruction de l'école, ni de tous les élèves à l'intérieur. En revanche, il cache un lourd mystère qu'elle a prévu d'éclaircir. Nox s'est cloîtrée dans son étude des potions et elle a embarqué Madame Barlow dans sa stratégie sans que celle-ci ne le présage.

Petit à petit, mot après mot, elle s'est renseignée au sujet d'une potion, d'une plante, qu'importe, qui serait en mesure d'arracher la vérité de la bouche d'une personne. Adaline a parfaitement conscience que Caedmon se montre à présent vigilant et méticuleux. Elle ne pourra plus ni l'espionner, ni l'interroger sans paraître suspecte à ses yeux et s'attirer une nouvelle vague de fureur, et de nouvelles réprimandes. Il lui faut agir à la manière forte. C'est lui qui a donné les clés de cette problématique. Il a été clair ; sans preuves, elle ne peut pas le dénoncer ou l'accuser de quoi que ce soit. La preuve proviendrait directement de ses aveux. 

Tous les soirs, elle a cherché les détails d'une concoction dangereuse, à la bibliothèque, isolée de ses amis et de chaque élève qui passerait par là. Elle a essayé d'en parler à Seth, le logique et le tempéré. Peirth se serait moqué d'elle, l'aurait traitée de folle et aurait surtout remis en cause les compétences de Caedmon à jouer un double jeu. Son ami, dans toute sa tranquillité, lui a conseillé d'abandonner et de se détourner de cette voie. Elle a refusé. Et puis, elle a reçu une visite étrange. Une nuit, alors qu'elle s'est faufilée entre deux étagères et que la gardienne ne l'a pas vue, éteignant les lumières et refermant derrière elle pour prendre une pause, Nox est tombée nez à nez avec Manon. 

— La gardienne reviendra bientôt. Elle ne sera pas ravie de nous voir toutes les deux ici, de nuit, pendant l'une de ses pauses. Tu vas donc m'écouter avec attention. Je ne sais pas à quel genre de stupidité tu t'exposes, mais arrêtes tout de suite. Je ressens ta colère et ton désir de vengeance. Peu importe ce que Delarosa t'a fait subir, demande-toi s'il mérite ce que tu veux lui faire et en particulier, demande-toi si cela en vaut la peine pour toi. Tu pourrais te perdre en chemin. Tu pourrais te détester. Tu pourrais te faire prendre et en payer le prix fort. Toutes ces conséquences, es-tu prête à les assumer, juste pour te venger de lui ? 

Adaline a lâché un ricanement froid, bras croisés.

— Ne te moque pas de moi, Manon. Tu es une amie proche de Caedmon. C'est lui qui t'envoies ? Cette petite ordure essaie de m'arrêter ? Est-il au courant de quelque chose ?

Par réflexe, Adaline cache son manuel de potion dans son dos. Un geste qui agace Manon, mais elle ne révèle pas l'étendue de son irritation quant à cette situation. Elle souffle :

— Je ne suis pas proche de Delarosa et il n'est pas mon ami. Disons qu'il couvre mes arrières, mais que l'inverse n'est pas toujours vrai. 

— En toute franchise, Manon, je n'y crois pas.

— Dans ce cas, j'espère que tu paniqueras à l'idée que Delarosa connaisse déjà ton plan et que tu y renonceras. Si tu ne veux pas répondre à mes questions à haute voix, c'est ton problème. Si tu veux continuer sur cette voie, c'est ton problème. Je t'aurais prévenue. Au revoir, Nox.