La chute du clocher

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Elle a peur. De tout ce qu'il se passe autour d'elle, de toutes les émotions qui fusent ci et là dans son cœur, de tous les mouvements alentour, elle ne perçoit que l'odeur âcre de la peur qui lui donne envie de vomir. Une main pressée sur sa poitrine, l'autre se prépare à agir. 

Voilà plusieurs heures qu'elle se terre dans les bois. Mais, elle n'est ni stupide, ni une couarde. Si elle demeure ici à attendre un miracle, elle mourra. Si elle ne bouge pas, elle est fichue. Ils la retrouveront. En revanche, si elle suit son instinct et rejoint l'école, elle n'est pas certaine d'en ressortir vivante. Est-ce du courage qui la pousse à regagner les murs du château, pour réunir le plus d'élèves possible et les guider jusque-là, dans la partie sombre, pleine d'ombres opaques et froides de la forêt de Yezajia, comme elle vient de le faire avec d'autres ? Est-ce de l'orgueil ? Serait-ce de la pitié pour ceux qui sont encore coincés là-bas ? Et elle, dans tout cela... Elle, que devrait-elle faire ? S'épargner une mort douloureuse en cherchant à jouer les héroïnes, ou braver tous les dangers et agir pour le bien commun.

Elle s'imagine sauver une personne en plus, peut-être deux ou trois autres, et cette perspective lui fait monter les larmes aux yeux. Si elle le peut, ne serait-ce qu'un seul élève de plus, elle doit essayer de les conduire à l'abri ici. 

Il est question d'un jeu mortel, un jeu du temps et de l'espoir. Adaline Nox voue une confiance aveugle en son Altesse Royale Creighton, elle sait intimement que la Générale ne se détournera pas d'eux, qu'elle ne les abandonnera pas...mais, partout autour d'elle, lorsque l'école était frappée par les tirs de projectiles à distance, lorsque le bois brûlait sous les flammes de l'ennemi, lorsque les troupes de Mabel enfonçaient les protections magiques, elle les a entendus. Partout. Des cris de panique. Des cris effrayés. Des cris de haine. Envers leur Princesse. Où est-elle ? Elle ne viendra pas. Elle ne nous aidera pas. Elle nous laissera mourir. Autant de pleurs qui ont parsemés son chemin du château à la forêt. Deux jours se sont écoulés et cette femme, qui défend les plus faibles et qu'ils connaissent tous très bien puisqu'elle étudie à Yezajia, cette femme manque à l'appel et les pierres s'effondrent. 

Adaline n'a pas le choix. Elle ne se supportera pas si elle fuit en premier et délaisse des survivants qu'elle aurait pu secourir. Alors, la tête haute, les mains tremblantes, elle se redresse et s'écarte de l'arbre derrière lequel elle s'était cachée et s'extirpant des ténèbres, elle file entre les troncs épais, poussée par le vent. La peur ne s'est pas estompée, non, pas du tout, mais elle la rejette tant bien que mal. Elle parvient à se rapprocher du château, assez pour distinguer le clocher noir et fier, trônant tout en haut de la plus haute tour, et elle ralentit soudainement à l'entente de rires sadiques, d'explosions par ci, par là. L'Impératrice Mabel a prouvé une fois de plus combien sa perfidie dépasse tout entendement. Elle le revendique, elle préfère raser le royaume entier plutôt que d'affronter cette résistance plus longtemps. En ces jours funestes, la jeune Nox voit clair dans ses projets. Mabel ridiculise la Princesse et Général d'Aerador, elle détruit une école et fait des ravages en massacrant des adolescents innocents, et le peuple se soulèvera de lui-même contre Wanda Creighton. Quel beau plan. Sinistre et cruel, tout comme elle. 

La jeune femme se dirige par réflexe vers le nord du château, droit sur le fleuve ; d'une part, pour bénéficier de la protection des arbres et d'autre part, elle soupçonne que les élèves auraient pu partir par là-bas. Seulement, sa progression est de courte durée. Elle se stoppe net à la vue d'une femme, un peu plus jeune qu'elle, sûrement la quinzaine, et un garçon qui semble à peine sorti de son berceau, neuf ou dix ans peut-être. Ils courent de toutes leurs forces et Adaline est sur le point de les encourager, de se montrer pour qu'ils la suivent. Tout à coup, le jeunot s'écroule dans la terre mouillée. Son torse rebondit, son front heurte violemment une pierre sur le petit sentier, une large flèche fichée dans son dos. Elle tend le bras, prête à défendre l'adolescente... Trop tard. Une boule d'énergie pure la frappe de plein fouet. Elle n'a pas fait trois mètres de plus. 

La Dame de la MortМесто, где живут истории. Откройте их для себя