La Dame de la Mort

Le sang sur les murs de Reqezia

La porte en bois fragile est envoyée valser dans la pièce. Tous les hommes présents se lèvent d'un seul bond, prêts à se défendre du malotru qui vient interrompre leur petite réunion secrète...tellement secrète que Rune a réussi à les débusquer un par un et à leur tendre un piège ce soir. 

Seulement, rien n'apparaît dans leur champ de vision. Le plus enhardi avance à pas lourds jusqu'à la porte, marche dessus et sort sa tête dans le tunnel souterrain de l'avant-poste de Reqezia. Ils se sentent tous en sécurité ici, à plusieurs pics d'Adamante, loin de leur Chef de Secteur. Quelle naïveté. Ils ont bêtement mordu à l'hameçon et se sont tous retrouvés ce soir pour discuter de leur soulèvement prochain. Le traître ne voit rien et revient dans la pièce, quand un hoquet de stupeur le saisit. Il dresse la main pour lancer un sortilège. Trop tard. Le Dahlia Noir en égorge un, puis un autre, elle en transperce un troisième en plein torse et coupe la tête du quatrième. Et en tentant de la neutraliser, l'homme se retrouve pétrifié par une magie extérieure. Il ne peut plus bouger, mais il flaire une présence derrière lui. Rune Wyvern.

— Regarde, ce qu'elle fait de tes camarades. Regarde ce que vous avez provoqué. Vous étiez si confiants. Aveugles à l'arrivée du Dahlia Noir. 

Rune lâche un rire sombre. Le Dahlia Noir aime à jouer avec ses lames. Elle a égorgé les deux premiers avec un couteau coincé dans sa botte gauche et à la laisser fiché dans le torse du troisième, avant de se munir d'un poignard recourbé pour décapiter le quatrième. Elle vise un cinquième traître et son arme vole dans toute la pièce pour fendre son visage grimaçant de part en part. Elle tire de son fourreau une fine et longue épée qui traîne presque au sol quand elle se déplace, avec la pointe la plus affûtée qui soit. Elle l'adore. L'oeuvre de toute une vie parmi tous ses trophées. Elle les confectionne elle-même, à ses heures perdues, sous la bénédiction de Wanda Creighton, enfermée dans la forge, dégoulinant sueur et sang, le regard animé par les flammes ardentes. Chacune de ses créations répond à un besoin, comporte sa propre histoire. 

Rune se contente de maintenir immobile celui qui a l'air de mener ce mouvement de rébellion ridicule, mais autorise à tous les autres de se mouvoir. Il ne voudrait pas gâcher le plaisir du Dahlia Noir. Il observe cette peste à la langue trop pendue sous un nouvel angle. Il a entendu tous ces récits qui la concernent, bien sûr ; les massacres à l'aube, les tueries dans les tavernes, les vengeances à la gloire du royaume, mais il ne l'avait jamais vue à l'oeuvre. C'est impressionnant, il ne peut le nier, qu'importe qu'elle l'ait agacé au début et qu'ils aient relativement fait la paix pour le bien de leur mission. Elle ne se bat pas. Nul ne pourrait appeler cela un combat. Il s'agit d'une exécution, pure et simple, une danse macabre à laquelle elle s'adonne avec une aisance déconcertante. 

Les traîtres foncent sur le Dahlia Noir, à défaut de pouvoir lui jeter des sorts, dans l'espoir vain de la tuer en premier. Elle lâche un rictus satisfait et se prépare à les accueillir. Ne pouvant s'en empêcher, elle s'offre en spectacle. Une vilaine habitude qui lui fait perdre du temps et lui donne un air particulièrement sadique, qu'elle assume pleinement. Une main tranchée, une jambe en moins, elle saisit une langue et la coupe net, la pointe de son épée dans un œil perforé... Lorsqu'elle en a terminé des trois derniers, ils sont étalés sur la pierre de la montagne, méconnaissables, une mare de sang trempant ses bottes fourrées neuves. Elle essuie son épée sur un des cadavres sous l'ahurissement de Rune. Il a participé à de nombreuses batailles, mais jamais une seule personne n'a commis autant de dégâts en moins de cinq minutes. Il se retient de vomir pour faire bonne figure. 

Le traître figé commence à trembler de la tête aux pieds en voyant que le Dahlia Noir approche de lui avec une expression d'indifférence fatale. Serait-ce la faucheuse qui vient le réclamer ? Elle range son épée et sort son second couteau. Il est plus petit et léger, plus maniable, et surtout plus utile pour les travaux de finition. Dans un premier temps, elle lui lacère une joue en traçant un symbole ancien qu'elle a perçu une fois pendant l'entraînement aux arts mystiques de Wanda. Elle ne sait pas ce qu'il signifie, mais elle le trouve joli et il contient de nombreuses lignes sinueuses. L'homme ne peut que hurler sa douleur. Ensuite, elle descend sur son torse et au-dessus de son manteau, elle enfonce à trois reprises la lame, là où elle ne touchera aucun organe vital. Puis, elle entreprend de déboutonner son bas. Il pâlit sous son sourire malsain. Rune déglutit péniblement et détourne la tête au moment où elle le prive de ses attributs. Mais, l'arme n'est pas adaptée à un tel acte. Elle doit se reprendre cinq fois avant de l'arracher pour de bon. Il ne peut ni tomber, ni se défendre, juste crier et crier à s'en détruire la gorge, il pleure aussi et manque de s'évanouir.