La Dame de la Mort

Le serpent dans son lit

Adaline n'a plus participé à une seule séance à partir de cet incident malheureux, et Wanda n'a pas insisté pour qu'une tierce personne la traîne jusqu'au dernier étage. Après tout, elle a continué d'assister à ses autres cours et s'est concentrée sur la guérison ; de ce qu'elle a glané comme informations à ses amis, Peirth affirme qu'elle a passé quelques nuits dans le dortoir du niveau dix, et Seth a poursuivi en précisant qu'elle évite désormais Caedmon. Ce dernier ne montre rien lors de leurs heures de spécialité. Il s'entraîne à la dure et ne lâche rien, mais il ne faut pas oublier que la Princesse possède un sens accru en ce qui concerne l'interprétation des émotions. Elle sent qu'il est tourmenté par ces événements. Manon aussi, à en juger par ses orbes perçants qui ne quittent pas le blond. Il fait croire que tout va bien, que rien ne lui importe, surtout pas ceci, mais il bouillonne à l'intérieur. Elle n'a pas jugé nécessaire d'en avertir la directrice, ne souhaitant pas pénaliser Nox sur une histoire qui ne regarde que ces deux-là. Qui plus est, elle a l'intuition que la jeune Sorcière reviendra bientôt.

Une semaine que cette comédie s'enchaîne jour après jour. Ce matin, elle ne se rend pas à Yezajia. Les élèves ne font pas cours, ils se reposent...où est-ce vraiment le cas ? Certains sont occupés à terminer l'écriture d'une dizaine de parchemins, d'autres à perfectionner leurs créations. Personne ne dort jamais sur ses deux oreilles dans cette école. Ils sont tous des êtres animés par un unique désir : partir de là au plus vite. Ce qui implique de grimper les niveaux et d'être en mesure de compléter les épreuves finales. Tous en viennent à un moment ou un autre à détester le château, ces couloirs de pierres identiques, ses tapisseries étouffantes, les tapis qui donnent des vertiges et les professeurs avec leur ton autoritaire, parfois dédaigneux. 

Wanda se prépare à la bataille. Demain matin, elle doit s'y rendre. Des éclaireurs lui ont rapporté que Mabel a trouvé un moyen de percer les défenses de l'avant-poste des Monts Stériles. Cette fois-ci, il n'est pas question d'une mascarade, vouée à la distraire ou à affaiblir ses forces. Elle aspire à grignoter des parcelles de leur territoire. L'Impératrice de la Nuit est une femme éternelle, remplie d'ambitions et de patience. Elle est convaincue dans le fond qu'elle obtiendra Aerador, par le temps ou par la force. Et la Princesse, quant à elle, n'est pas convaincue du tout qu'elle pourra lui barrer l'accès pour toujours. Mais, elle tient bon et ne baisse pas les bras. Elle préfère mourir que de voir son royaume tomber aux mains de cette monstruosité. 

C'est pourquoi elle s'est décidée à faire un sacrifice qui lui coûte déjà beaucoup, alors que rien n'a véritablement commencé. Wanda a enfermé Dante Stein pendant cette dernière semaine, contre les supplications de son conseiller. Aithan s'est évertué à la persuader qu'elle commettait une erreur, qu'ils avaient besoin de lui, mais l'homme ne s'est pas plaint, il n'a pas demandé à sortir de sa chambre, il n'a pas rechigné à manger les restes des cuisines, ni à vivre heure après heure dans ce Palais d'Argent sans la moindre distraction. D'après les gardes, il est resté allongé sur le lit sans bouger, à dormir avec ou sans les paupières baissées. Une façon de dire qu'il n'a rien fait, si ce n'est rêver, penser et sûrement prévoir son plan d'évasion. Cette situation lui autorise trop de libertés.

— Trop de libertés ? s'est étouffé Aithan, quand elle lui a fait part de son opinion. Trop de libertés ? Wanda, ma chère, il est isolé, se nourrit mal, sans une once de divertissement, tu pourrais le rendre fou d'ennui si cela persiste. Or, nous avons besoin de son esprit le plus sain possible pour qu'ils nous fournissent des renseignements utiles. Voyons, tu te laisses envahir par tes mauvais sentiments. Pourquoi le haïs-tu autant ? Il est à ta merci. Tu l'as déjà vaincu, Wanda. Maintenant, prends ce qu'il te revient de droit grâce à ta victoire sur lui. Il te doit vie et servitude, puisque tu l'as épargné.

— Uniquement car vous m'y avez forcé. Tu t'immisces dans cette affaire plus que tu ne le devrais, Aithan. T'es-tu entiché de cet homme ? Aurais-tu pitié de lui ?