- Chapitre 5 -

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J'avais attendu, ça oui. Le roman de Mark à la conquête de l'espace était sorti depuis trois semaines, et aucune réédition n'était prévue à ce jour. Je rongeais mon frein, relisant ardemment les anciens volumes de WillAnn pour passer le temps et ne pas sombrer.

Un soir de mi-juin, Andrew était venu dîner à la maison. Il avait insisté pour me changer les idées, alors il était arrivé vers 20 heures avec quatre écrins de chez Pittman Pastry. Inévitablement, il savait comment me dérider.

Mais même la vue des pâtisseries alléchantes ne m'avait pas redonné le sourire. Je demeurais morose, et mon visage était fermé en permanence. Je ne parvenais plus à trouver de joie dans la lecture, ma déception était trop immense. Attendre pour savoir ce qui arrivait à Mark m'était insoutenable. J'aurais pu aller pêcher des informations sur internet, mais je refusais de me laisser spoiler l'histoire. En résultante, je fuyais les réseaux sociaux, et je n'avais pas ouvert le forum depuis le jour de la sortie, très peu tenté par l'idée de lire des commentaires sur Mark à la conquête de l'espace et me sentir d'autant plus démuni.

J'avais croisé, dans le métro, plusieurs personnes qui détenaient le roman tant convoité, et j'avais aperçu la couverture à la sauvette. Je me faisais toujours une joie de découvrir le visuel, car je prenais le temps de l'analyser, de passer mes doigts sur le papier glacé, de renifler les pages. J'étais systématiquement dans les premiers, à attendre devant les portes encore closes de la librairie. J'étais intensément excité, et mon corps ressentait une sorte d'adrénaline que je ne retrouvais nulle part ailleurs. Cette fois-ci, j'avais dû jeter un œil entre un sac à main Chanel et un cabas de courses qui retenait une botte de poireaux à moitié fanés pour tenter d'apercevoir quelque chose.

La couverture était sobre, comme je l'avais imaginée. Totalement noire, elle laissait apparaître un petit astronaute au milieu de l'immensité de l'espace, les étoiles brillant autour de lui. J'avais la sensation qu'en passant le doigt dessus, elles étaient en relief. Mais même ça, je l'ignorais encore. C'était comme si la vie me punissait, comme si elle me faisait l'affront de m'agiter le livre sous le nez sans que je ne puisse en jouir pleinement.

Nous avions enchaîné les parties de Mario Kart en mangeant de la pizza. L'ambiance était bonne, et j'essayais de ne pas être un hôte monstrueusement ennuyant pour Andy, quand une notification me réveilla de ma torpeur. Je clignai des yeux et avisai mon téléphone. Andrew savait ce que ça signifiait. Il baissa le regard vers l'appareil posé entre nous sur la table, et malgré mes réactions plutôt vives, il l'attrapa avant moi, et se leva d'un bond. Je me tins devant lui, l'air aussi menaçant que je le pus.

— Donne !!

— Je sais que t'as pas de notif, Noah... rien à part ce truc de site sur tes bouquins ! rigola-t-il en retenant mon téléphone.

J'allais lui tordre le cou, le massacrer, le couper en petits morceaux ! Des petits morceaux d'Andrew Pittman que j'allais cacher dans les murs de l'immeuble. Ce ne serait pas très difficile, il était relativement menu. Mon visage se ferma, et je me rembrunis.

— Andy, donne-moi ça tout de suite !!

Si j'avais été tolérant l'espace d'un instant, si je l'avais laissé me rassurer pendant des jours, j'étais maintenant dans un état second. Le bip qui retentit m'indiquait que le site de WillAnn avait publié un nouvel article. Et il y en avait très peu sur sa page sobre et épurée. Ça signifiait donc que l'éditeur était connecté et qu'il avait fait une annonce, sans doute pour une information capitale. Il ne s'agissait pas d'un autre roman, il venait de sortir, alors c'était certainement au sujet de la réimpression que j'attendais depuis des lustres ! Il recula, mon portable toujours enfermé dans sa main.

L'Envol du PapillonWhere stories live. Discover now