L'Envol du Papillon

- Chapitre 22 -

Nous avions discuté jusqu'à ce que la lune prenne place dans le ciel et que les étoiles dansent à ses côtés. Puis Timothy avait tenté de préparer des spaghettis à la bolognaise, mais même pour ça, il n'était pas doué. Ça nous avait valu une franche rigolade, et j'avais fini par proposer de m'occuper du repas afin de le soulager de cette tâche. Il avait accepté et s'était enquis d'agencer la cour.

Lorsque j'arrivai avec les bols brûlants, je découvris des bougies installées çà et là, créant une ambiance feutrée et intimiste. Il avait disposé des coussins sur les fauteuils ainsi que des plaids, et un léger fond de jazz jouait par la petite enceinte Bluetooth qui provenait du salon. Je déposai son plateau devant lui et pris place à sa gauche. Nous dînâmes avec seulement le bruit de nos bouches qui aspiraient les nouilles. Les joues rouges d'avoir mangé chaud, et enfin repu, je m'étendis dans le fauteuil en regardant le ciel.

— Raconte-moi ton enfance, souffla-t-il.

Je me redressai dans mon siège et haussai les sourcils.

— Ce n'est pas une obligation. J'avais simplement envie d'en savoir plus sur toi.

— Je veux bien... mais je ne sais pas quoi dire, avouai-je. J'ai eu une enfance banale... bien moins torturée que la tienne. Je me suis réfugié dans les livres parce que j'étais seul. Et je le suis toujours.

— Je suis là, tu n'es plus seul.

— Pourtant j'aspire à le rester, plus que tout.

Sa mine se ternit.

— Ça n'a rien à voir avec toi, le rassurai-je en catastrophe, m'apercevant de mon erreur. Pouvoir être ton ami était le plus cher de mes souhaits, et jamais je n'aurais cru qu'un jour il puisse se réaliser. Mais je crains qu'en m'ouvrant aux autres, mon amour pour la littérature s'effrite.

— Ne pense pas de cette façon. Tu peux accorder de ton temps, sans corrompre ton esprit.

— Pourtant j'ai déjà cédé dans ce club... lorsque tu es venu me récupérer. J'étais si pathétique, si enivré, soufflai-je honteusement.

— Tu es jeune, Noah. Vis, bois, fume, fais toutes les expériences que tu souhaites, du moment que ça ne reste que des expériences. Mais plus que tout, évite de te retrouver dans ma situation. Personne ne mérite de vivre de cette façon.

— Je t'envie, pourtant. Tu as l'air heur...

— Je ne le suis pas, coupa-t-il. Ce n'est qu'une façade... il n'y a plus rien à sauver chez moi, alors que toi... pour toi tout est différent. Pour toi, il y a encore de l'espoir... de la vie.

J'observai ses yeux brillants et ses lèvres rougies par la sauce tomate. Il était irréel, il était mon rêve le plus cher et je voulais garder notre amitié, la chérir comme le plus précieux de mes trésors. Je voulais qu'il se rende compte de ce que nous étions, si semblables dans notre solitude. J'aurais voulu lui dire que je désirais plus que tout qu'il m'entraîne dans sa spirale de spleen. Qu'ensemble, notre mélancolie aurait pu devenir exponentielle. Que nous aurions pu évoluer en un duo inséparable et qu'en sa présence, je me sentais maladivement heureux, tristement euphorique, et qu'une pesante légèreté m'accablait. Mais je me tus, préférant garder un peu plus longtemps pour moi, cet aveu que je dissimulais encore à ma propre conscience.

— Lorsque j'étais enfant, j'avais une cabane dans ma chambre. Enfin, plus précisément dans l'immense dressing. J'avais jeté l'intégralité de mes vêtements sur mon lit, et j'avais investi l'espace derrière les portes coulissantes, puis j'y avais installé des couvertures, un oreiller, une veilleuse à projection d'étoiles, et une tonne de livres, ainsi que bien sûr, un garde-manger qui m'aurait permis de survivre si une apocalypse venait à voir le jour. J'y ai passé deux nuits avant que mon père se rende compte de la supercherie et m'extirpe de ma cabane improvisée. J'avais pleuré pendant des heures, plus à cause des grandes enjambées qu'il avait faites pour évacuer mes couvertures, mes paquets de gâteaux et mes livres de mon armoire, qu'en raison de ses cris hystériques. Il n'avait pas compris qu'il n'y avait que comme ça que j'étais heureux.