L'Envol du Papillon

- Chapitre 9 -

— Attends, il était peut-être fatigué, ou malade, ou stressé...

— Je m'en fiche...

Nous étions rentrés chez moi, et je m'étais vautré dans mon fauteuil fétiche, comme le gamin blessé que j'étais. J'avais tout raconté à Andrew. La rencontre désastreuse, son ton à la fois psalmodique et arrogant, et sa façon de m'intimer de partir. J'étais brisé, j'avais honte, et j'avais l'impression que jamais je ne pourrais m'en remettre. J'étais déçu. Atrocement. Et la déception n'était pas un sentiment qui collait avec WillAnn. Mon monde s'écroulait, et je peinais à passer à autre chose. Non seulement je n'avais pas obtenu sa dédicace, contrairement à des centaines d'autres fans, et notre rencontre avait été un fiasco.

Andrew me regarda avec peine. Je savais qu'il était frustré pour moi que cette expérience n'ait pas été aussi incroyable que je l'avais imaginé. Mais il n'y pouvait rien. Le seul responsable, c'était WillAnn. Je me mis à rêvasser, tandis qu'Andrew se mit en tête de cuisiner des cookies pour me remonter le moral. Je n'avais pas objecté, et lui avais laissé un accès total à la cuisine. À quel âge ma fascination pour cet auteur s'était-elle transformée en acharnement compulsif ? J'avais donné beaucoup trop d'importance à ce type. Finalement, est-ce qu'il l'était vraiment ? Et là, au milieu de mon salon, ratatiné sur mon fauteuil et enroulé dans un plaid, j'explosai en larmes. Andrew accourut jusqu'à moi avec son tablier et son nez recouvert de farine, puis il s'agenouilla devant moi.

— Noah !!! Non, pleure pas, vraiment, il n'en vaut pas le coup, ce mec !

Je ne parvins plus à respirer correctement, mon souffle étranglé ayant du mal à circuler dans ma gorge. Je me sentis nul, affreusement stupide, et je réalisai que j'avais mis ce type sur un piédestal magistral sans le connaître. Je lui étais totalement dévoué, et j'aurais fait n'importe quoi pour lui. Mais définitivement, il n'était qu'un fantasme de mon imaginaire, un être que j'avais créé de toutes pièces et qui n'existait pas. J'avais été trop loin dans mes désirs, trop avide dans ma convoitise, sans prendre en considération le fait que possiblement, l'auteur qui se cachait derrière les romans ne me plairait pas.

En réalité, c'était comme dans la vie de tous les jours. Il y avait des gens avec qui nous nous entendions à merveille, et d'autres avec qui ça ne passait pas, quoi que nous fassions. Je me souvins alors d'un garçon de ma classe en primaire qui ne cessait de me harceler et de m'insulter de tous les noms sous prétexte que j'étais un enfant calme et que je restais dans mon coin sans consentir à jouer avec les autres. Je lui vouais une haine sans pareille, et un jour je m'étais rendu compte qu'il dessinait admirablement bien. Il avait un coup de crayon stupéfiant, malgré ça, je le détestais. Nous nous étions suivis jusqu'au collège, puis il avait fini par déménager et quitter la ville. Durant nos années passées dans la même classe, jamais je n'avais pu m'adapter à son caractère irascible. Je savais pourtant qu'il avait un talent indéniable, mais ça ne changeait pas la personne qu'il était au fond de lui. Et c'est à cet âge que j'ai compris qu'il était possible d'admirer quelqu'un pour son talent sans pour autant l'apprécier en tant qu'individu. C'était le cas avec WillAnn. J'aimais Mark et ses aventures, j'aimais sa plume et je ne pouvais nier qu'il avait une aptitude inouïe pour l'écriture. Mais ça s'arrêtait là. L'homme derrière la plume était une immense déception.

Je pleurai sans relâche toute la soirée sans parvenir à m'arrêter, tremblant, et le cœur en miettes. J'épanchai ma tristesse et ma désillusion, et Andrew restait près de moi, à me caresser le dos avec bienveillance. Au départ, il avait tenté de me raisonner, mais très vite, il avait compris que j'avais besoin de vider tout ce qui résidait en moi. Je vidais ma peine comme le pus d'une plaie, et vers minuit, je me sentis mieux. J'étais un peu plus apaisé, et je parvins à grignoter quelques cookies.