I. Se faire manger tout cru

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Quand on m'a annoncé la nouvelle, j'ai d'abord cru à une mauvaise blague, comme si d'un instant à l'autre on allait me dire « Mais non, c'était juste pour voir ta tête ! » et j'allais rire. Je m'apprêtais à rire.

Puis j'ai vite réalisé que les gens se tenant en face de moi étaient des plus sérieux et que mon monde venait de s'effondrer sous mes pieds.

« Nous sommes désolés, Tobias. »

Pourquoi ? Vous n'en avez pas l'air. On dirait plutôt que vous ressentez un brin de pitié, mais c'est tout. Vous n'êtes pas désolés, aucun de vous ne l'est. Vous êtes bien trop heureux de virer un élève de plus de votre école bien trop prestigieuse.

« Nous t'invitons à faire le nécessaire auprès de tes professeurs et de tes camarades. »

Camarades ? Je n'en ai aucun. Je dirais plus des « relations de travail imposées ». Je n'ai pas d'amis. Un gars comme moi n'a pas d'amis parce que je ne suis pas comme eux. Je ne sors pas de la cuisse de Jupiter et je ne fais pas partie de l'élite dirigeante de ce pays.

Moi, je suis le seul gars paumé, qui a réussi à avoir une bourse pour faire ses études dans la meilleure école de tout le pays.

Bourse que je viens de perdre.

Bourse qui était mon seul revenu.

En plus d'être viré de l'école par faute de moyens financiers, je vais perdre tout le reste.

On vient littéralement de me mettre à la rue.

« Je vous remercie de tout ce que vous avez fait pour moi. Sur ce, je m'en vais prendre mes affaires. »

Je ramasse mon sac que je jette sur une épaule tandis que je meurs d'envie de foutre un coup de pied plein de rage dans ce merveilleux petit meuble en bois. J'ai envie de détruire tout ce qui a de la valeur dans ce bureau bien trop confortable. J'ai envie de leur prendre tout ce qui semble important pour eux pour leur faire comprendre ce que je ressens actuellement.

J'ai la haine. J'ai la rage.

Si j'avais été un « fils de... » peut-être que l'on m'aurait proposé un arrangement. Peut-être que l'on m'aurait donné du temps pour me refaire. Pour trouver une solution par moi-même, mais je ne suis que « Tobias l'orphelin » et il n'y a personne pour comprendre ça.

Ma bourse vient de m'être enlevée pour de sombres raisons, sans que l'on m'explique le comment du pourquoi et voilà que l'on me fout à la porte sans d'autres mots que : « Nous sommes désolés ».

Désolé de quoi ? De bousiller encore une vie ? De gâcher les chances d'un étudiant plein d'avenir ?

Je n'étais peut-être pas l'intello de base, mais je n'étais pas si mal que ça dans le dernier classement.

Alors pourquoi moi ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

« Pays de merde. Enculés de profiteurs. »

C'est toujours pareil. Demain appartient à ceux qui ont le porte-monnaie pour suivre.

« Qu'est-ce que tu fous, mec ? On va être en retard ! Je t'ai cherché partout.

— Désolé Carl... Pars devant... Je ne viendrais pas. »

Carl c'est un peu le gars qui me sert de reflet. C'est peut-être même le prochain à faire ses adieux à cette institution sans foi ni loi.

« Attends... Ne me dit pas que... Non, pas toi.

— Désolé. »

Carl, moi, quelques autres, on a été une poignée à réussir à entrer ici, mais petit à petit c'est fait un tri et on nous a virés dehors à grand coup de pied dans les fesses. Certains ont tout perdu, d'autres ont eu un tremplin.

« Tobias...

— Quoi ? Tu vas me dire que t'es désolé toi aussi ? Garde ça pour toi, hein ! »

Je suis tellement en colère.

« Pardon, je sais que je ne devrais pas... Bref, tu devrais aller en cours.

— Et toi ? Qu'est-ce que tu vas faire ?

— Je n'en sais rien Carl. Je vais faire ce que je faisais avant. »

Je vais survivre.

Parce qu'il ne me reste que ça à faire.

Survivre.

Tenter de trouver une solution. Tenter de me dire que demain ne peut pas être pire qu'aujourd'hui. Je vais me démener, comme à mon habitude et je vais m'en sortir. Je ne suis pas con, je sais comment tout ce système moisi fonctionne.

Je vais trouver une faille.

« J'ai quelqu'un à aller voir ! »

Je ne devrais pas, non.

Arrête-toi. Ne cours pas. Ne te précipite pas.

Ne fais pas le con, ça n'en vaut pas la peine et tu le sais.

« Yo ! Nick ! »

Il est là mon tremplin.

Nick Oliver Forderas.

Tout le monde sait dans quoi trempe sa famille et lui aussi, mais personne ne veut le pointer du doigt. Parce qu'une fois qu'on s'arrange, on n'en ressort pas.

Nick est un diable au contrat que l'on ne peut défaire.

« Tobias ? Qu'est-ce que tu veux ? »

Survivre, connard.

« Ta proposition, elle tient toujours ? »

Arrête de me regarder avec ce petit fier et ce « Je savais que tu viendrais ramper à mes pieds ». Crois-moi, ça ne me fait pas plaisir et si j'avais le choix, je préférerais me pendre plutôt que de bosser pour toi.

« Alors, ça y est ? Le temps est venu... Qui aurait cru que...

— Ta gueule et dis-moi si c'est bon ou pas ?

— T'es désespéré à ce point ?

— J'suis pas "désespéré" OK ?

— Pour venir me voir, tu dois être dans une sacrée merde quand même. Bon, je te donne une adresse, tu m'y rejoins ce soir. File-moi de quoi noter. »

Je cherche un bout de papier dans mes poches, ne serait-ce qu'un vieux ticket de caisse ou n'importe quoi, mais voyant que je prenais trop de temps, Nick se saisit de ma main et arrache le capuchon de son stylo avec ses dents.

« Ce que t'es lent, putain. Amène ton cul à cette adresse et sois pas en retard. »

Je regarde l'adresse en question.

« C'est pas un club ça ?

— Et ? Ça te pose un problème ? Tu diras que tu viens de ma part. N'oublie pas ! Je n'aime pas les retards. »

Puis il finit par disparaître au détour d'un couloir, me laissant seul avec ma misère et la honte que je portais en moi pour lui avoir demandé de l'aide, à lui, le seul mec le moins fiable du monde.

Mais dans quoi me suis embarqué, putain ?

The Other Side (BxB) - Tome 1Where stories live. Discover now