III. Les travers de l'Enfer

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J'ai toujours su que Nick était ce que l'on appelle un « mauvais garçon ». Connu pour ses nombreuses allées et venues dans le bureau du doyen, pour ses renvois de cours, je fus toujours étonné de le croiser dans les couloirs. Je pensais qu'un jour, il finirait par être renvoyé, mais non. À la place, on renvoya des étudiants qui perdaient leurs bourses. De bons étudiants.

Je dois être trop con pour savoir comment marche le système. Je pensais que j'avais toutes mes chances comparées à un gars comme lui.

« Je sais à quoi tu penses Tobias.

— Ah ouais ? Et à quoi je pense si t'es si fort ?

— Tu te demandes comment t'as pu te retrouver dans une merde pareille et que t'as rien fait pour mériter ça ».

C'est vrai. Je n'ai rien fait.

« Et toi ? Comment t'as fait pour être dans les petits papiers de l'administration ? Les gars comme toi, on les fout dehors normalement.

— Pourquoi ? Parce que je suis une mauvaise graine ? Tu rêves d'une école pour une petite élite ressemblant à un couvent ?

— Je rêve d'un monde plus juste en fait.

— T'es plus naïf que ce que je ne pensais si tu crois que le monde sera juste. Le système est pourri jusqu'à la moelle et si t'as pas les couilles pour y faire face avec ce que t'as, alors tu te fais juste marcher dessus.

— T'as ce qu'il faut, c'est ça ?

— J'en ai certainement plus que toi dans le pantalon, ça oui. »

Ce qu'il ne faut pas entendre, je vous jure. Il se la pète et vu que nous sommes conduits par un chauffeur, tout me laisse à penser que c'est un de ces gosses nés avec une cuillère d'or dans la bouche.

Alors c'est comme ça, hein ? Faut être plein aux as pour se faire bien voir ?

« On est arrivés. Descends. »

Les vitres teintées m'empêchent de distinguer clairement l'extérieur, mais quand je sors de la voiture, je ne fus qu'à moitié surpris de me retrouver devant une immense baraque.

« Gosse de riche. Je le savais. »

Ça le fait rire.

Il entre tandis qu'une jeune femme vient à notre rencontre.

« Tobias, voici Rachel.

- Enchanté. Êtes-vous un ami de monsieur ? »

Monsieur ?

On échange lui et moi un bref regard.

« Plutôt mourir.

— Tu sais, tu pourrais montrer un peu plus de respect ton bienfaiteur. Ingrat va.

— Bienfaiteur ?

— Bon, Rachel, montrez la chambre d'ami à Tobias et s'il a besoin de quoi que ce soit, faites-le savoir aux domestiques. Je serais dans ma chambre.

— Ah parce que tu me laisses maintenant ?

— Tu veux quoi ? Que je vienne te frotter le dos sous la douche et te chanter une berceuse au lit ? Pas mon style. »

Alors qu'il s'apprêtait à me planter au milieu de son hall gigantesque, me montrant clairement la différence sociale entre nos deux mondes, Nick revient sur ses pas, se met à ma hauteur et pose sa main sur mon épaule avant de me chuchoter tout bas.

« Si j'étais toi, je fermerais la porte à clé ce soir. Il m'arrive de m'égarer encore dans les couloirs et de me glisser dans les lits d'autrui. »

Cette phrase me fout la chair de poule et au vu de mon air dégoûté, il s'en doute. Il en rit. Je dois certainement l'amuser. Il se joue de moi. C'est trop facile, tout doit être trop facile pour lui. En même temps... A-t-il eu un jour ressenti le besoin de quoi que ce soit ?

« Sur ce, on discutera de ton boulot demain matin ! J'ai pas la tête à ça ce soir. »

Il monte les escaliers en marbre et me laisse tout seul. Seul avec Rachel qui me dévisage, amusée.

« Quoi ?

— Rien. Cela fait longtemps que je n'avais pas vu monsieur aussi amusé. Vous devez être une personne intéressante.

— Amusante ? Je ne pense pas. Je suis plus une marionnette. Pourquoi vous l'appelez "monsieur" ?

— C'est le titre qui lui sied.

— Je peux vous poser une question ?

— Je vous en prie, j'essayerais d'y répondre.

— Pourquoi tout est si silencieux ? »

Maintenant que Nick est monté, l'ensemble de la bâtisse me semble d'un calme plat. Presque angoissant. Comme si la solitude s'y était elle-même installée.

C'est alors que Rachel détourne les yeux et je comprends sans trop de difficulté que j'ai mis le doigt sur quelque chose.

« Peut-être est-ce là une conversation que vous aimeriez avoir avec le principal intéressé. Puis-je vous conduire à votre chambre ? »

Je devrais profiter du décor, je ne resterais ici que pour cette seule et unique nuit.

Il faut croire que même l'Enfer lui-même à ses propres travers.

The Other Side (BxB) - Tome 1Место, где живут истории. Откройте их для себя