The Other Side (BxB) - Tome 1

XLII. Pour se retrouver, il faut savoir se quitter

La vie est une succession de petites batailles que l'on gagne ou que l'on perd. Des petites batailles que seuls nous sommes amenés à affronter, car au bout de ces batailles se trouve une réponse. Une réponse que l'on cherche depuis bien trop longtemps. Nick a indéniablement besoin de cette réponse. De savoir où se positionner dans la vie. De voir qu'il pourrait très bien tourner le dos à tout ce monde-là. Il le pourrait... Mais il ne le ferra certainement pas. Jamais. Je le connais. Malgré tout ce qu'il peut dire, il ne tournera jamais les talons, car bien trop attiré par tout ce qui gravite autour de ce monde qui lui tend les bras.

Je l'ai compris il y a peu maintenant et je le réalise encore plus maintenant que je le vois agir en haute société. Il est né dans ce monde pollué, corrompu et barbare, poignardant n'importe qui à la moindre occasion. Il a grandi dans ça et ce n'est certainement pas moi qui pourrais l'en sortir.

Il n'a pas besoin de moi.

Il a besoin de lui-même.

Il a besoin de réaliser qu'il peut très bien s'en sortir tout seul et je reste convaincu qu'une part de lui en est intimement convaincue.

Alors je pose le plateau sur le buffet, me dirige en cuisine et commence à enlever mon uniforme de serveur, défaisant les premiers boutons de ma chemise tandis que Carl me rattrape.

« Tu t'en vas ? Quelque chose ne va pas ?

— Non. Tout va bien. C'est juste que... Tu sais, tout ça, ce n'est pas fait pour un gars comme moi. »

Je l'ai compris ou plutôt, je l'ai réalisé. Il y a des mondes d'écart entre Nick et moi. Entre ces riches personnes et moi. Je ne suis pas fait pour tout ça. Ni pour ça, ni pour être escorte-boy d'ailleurs. Je ne reprendrais sans doute jamais mes études non plus. Non. Je ne veux même pas les reprendre. Ma perspective de vie a changé.

« Tu t'en vas... Vraiment, n'est-ce pas Tobias ? »

Carl semble avoir compris ce que je m'apprête à faire. Ça a toujours été un garçon intelligent. Je ne peux pas me cacher, ni même me défiler devant lui alors qu'il sait.

« Un jour viendra Carl, où je reviendrais pour mes affaires que j'ai laissées chez toi, alors veilles-y, veux-tu ?

— Et Nick ? Est-ce qu'il sait ? Est-ce que tu lui as dit ? »

Je jette un coup d'œil à Nick à travers la porte de la cuisine et il semble se débrouiller. Je ne dirais pas qu'il est parfait et complètement à l'aise, mais si Nick voulait fuir ce milieu, il l'aurait fait depuis longtemps alors... Je pense que je n'ai aucun souci à me faire pour lui.

« Il ne saura rien. Et je ne te dirais rien non plus comme ça, si Nick te torture pour avoir des réponses, tu ne cracheras rien. Je ne peux pas te mettre dans ce genre de situation. Alors, reste ignorant. Mais ce n'est pas définitif, tu sais ? Je reviendrais, je te l'ai dit.

— Je n'aime pas ce genre de décision prise sur un coup de tête alors que pendant une semaine tu es resté à larver sur mon canapé en te lamentant sur ton sort et en appelant Nick à chaque fois que tu fermais les yeux.

— Les choses changent Carl. Je change. J'évolue, je m'adapte. J'essaye moi aussi de m'y retrouver. »

Et maintenant que je me suis si longtemps égaré, je pense que c'est le bon moment pour me retrouver. Revoir mes priorités, mes objectifs. Je ne peux pas être à la solde de Nick toute ma vie. Je ne peux pas mener son train de vie et dépendre de lui. Il faut que je m'en détache.

« Merci Carl. Merci pour tout ce que tu m'as offert. Merci d'avoir été l'ami que tu as été. Merci pour cette incroyable expérience...

— Je n'aime pas ça... Vraiment. »

Je le vois retenir ses larmes et je ne peux m'empêcher de frotter sa tête aussi fort que je le peux tandis que je m'éclipse progressivement par la porte de derrière.

L'allée de la maison est pleine de voitures, la soirée bat son plein et Nick ne se doute pas un seul instant que progressivement, je m'en vais.

« Tobias ! »

Ou pas.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? »

Un léger sourire m'échappe quand je le vois se ruer vers moi, le souffle coupé, les yeux plissés pleins d'incompréhension, de surprise et de tristesse.

« Tu t'en vas ?

— Je vois que Carl n'a pas su tenir bien longtemps. Oui, je m'en vais.

— Où ? Pourquoi ?

— Nick...

— Dis-moi !

— Tu as des objectifs à accomplir et je...

— Foutaises ! C'est juste un prétexte ça ! On était bien, pourquoi tu pars ? De plus, tu ne peux pas me quitter, t'as signé un contrat, je te rappelle.

— On sait très bien tous les deux que ce contrat n'est pas valide. Si tu veux me retenir, sors au moins autre chose que cette excuse. »

Mais tu ne me retiendras pas, car au plus profond de toi, tu sais que rien ne marchera. Nick, il est temps. Il est temps que nos deux mondes se séparent. Je ne te dirais jamais adieu, car il n'est pas question de ça, mais il est temps que l'on reprenne nos vies qui sont les nôtres.

« Je ne veux pas que tu partes.

— Ne fais pas l'enfant. Tu es promis à de grandes choses et moi, je suis au milieu de tout ça. Toi et moi savons que tant que je serais dans les parages, je ne serais qu'une gêne ou pire, ton talon d'Achille. Alors, laisse-moi partir. Je reviendrais, tu sais ? Peut-être pas tout de suite, peut-être pas maintenant. Mais je reviendrais.

— Reviendras-tu pour moi ? »

Ça, je ne peux pas te le promettre. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je ne sais pas si je serais capable d'à nouveau plonger tête la première dans ton monde. Tu sais, j'ai peur de ça. De cette obscurité planant au-dessus de ta tête. J'ai peur de me faire engloutir tout entier et de ne jamais ressortir la tête de là. Alors avant qu'il ne soit trop tard... Je veux m'en aller.

Je t'en supplie Nick, ne me regarde pas comme ça, comme si tout le malheur du monde t'accablait... Je ne pourrais supporter cette vue plus longtemps.

« Laisse-moi au moins te dire au revoir, Tobias.

— Non. Parce qu'on sait très bien tous les deux que si tu fais un pas de plus, ça n'en finira jamais. Plus on s'attardera, plus ça sera douloureux pour nous deux. Tourne-toi Nick ou ferme les yeux si tu n'aimes pas l'idée de me voir franchir ce portail, mais laisse-moi aller de l'avant. »

Laisse-moi me sauver tant qu'il en est encore temps. Car je ne peux rien pour toi mon ami, et l'égoïste que je suis, ne peut s'aider que lui-même. Ainsi va la vie. Si tu n'es pas prêt à te sauver toi-même, alors ne compte sur moi, car je ne peux rien faire pour toi.

« Tobias ! »

Je suis désolé. Mais c'est mieux ainsi.

Tu as ta vie. J'ai la mienne.

Tu as des choses à accomplir Nick et je compte sur toi pour cela. Mais ne compte pas sur moi pour réapparaître de si tôt.

Je crois qu'au fond, c'est moi qui me suis servi de toi.

À suivre...