V. Face contre terre

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Je me suis perdu.

Je suis parti tellement vite de la chambre que je n'ai pas fait gaffe où j'allais. J'ai tourné dans un couloir, puis dans un autre et je n'ai pas fait attention et puis je m'en fous en fait. Tout ce qui m'importe pour le moment, c'est d'être loin de cet abruti.

Je ne regrette pas de l'avoir frappé, il le méritait et si je m'écoute, j'y retournerais pour lui en mettre un autre, mais même si je revenais sur mes pas, je ne saurais pas quelle porte correspond à la chambre qui fut la mienne le temps d'une soirée des plus chaotiques.

Merde.

Et puis comment peut-on vivre dans un endroit aussi grand ? Même les Sims n'ont pas des baraques pareilles ! C'est de l'abus d'argent ! S'il en avait autant à jeter par la fenêtre, il ferait mieux de faire des dons ou je n'en sais rien moi.

J'ouvre alors la première porte que je trouve à ma droite et entre dans ce qui me paraît être un bureau. Il n'y a pas grand-chose niveau déco, c'est assez soft, mis à part quelques étagères, une bibliothèque dans un coin et une fausse plante en plastique.

Soudain, une idée me traverse l'esprit : sortir par la fenêtre. Je suis au second étage, je peux le faire. Au pire, je me ferais mal, mais ça ne me tuera pas.

Ouais, allez, je vais faire ça avant que Nick ne me retrouve.

Je me fraie un passage jusqu'à la première fenêtre que je trouve et l'enjambe. Dans les films y'a toujours un arbre pour se rattraper ou un buisson pour amortir la chute, mais là, rien. Tant pis, je n'ai qu'à pas me rater.

Actuellement, je me sens comme un de ces cambrioleurs de supérette. Devoir passer par la fenêtre, non mais je vous jure, ce gars me fera tout faire. Ce qui venait de se passer n'était pas suffisant ? Je n'arrive même pas à me débarrasser de cette image. Lui sur moi.

Sa main...

Complètement déconcentré par tout ça, mon pied glisse sur les tuiles, entraînant irrémédiablement ma chute quelques mètres plus tard, sur le dos, me coupant, un bref instant, la respiration due au choc.

Je veux mourir.

« On dirait que le petit oiseau est tombé du nid sans avoir appris à voler. »

Nick est juste là. Debout. Son visage au-dessus du mien tandis que je me retrouve étaler par terre.

« Ta gueule... C'est de ta faute.

— C'est toujours de ma faute de toute façon. Tu comptes rester par terre ou tu veux un coup de main ?

— Laisse-moi !

— Comme tu voudras. Tes désirs sont des ordres. »

Il s'en va, me laissant vraiment là, par terre dans sa pelouse.

« Attends ! »

J'ai mal, bordel. J'ai forcément dû me casser un truc ou, si ce n'est pas le cas, j'ai le cul bordé de nouilles, ce n'est pas possible autrement.

« Je crois que je me suis cassé les fesses.

— Tu ne peux pas, c'est que du gras. Tu sais, je suis peut-être l'enfant terrible, mais j'écoute en cours moi au moins. Par contre, sans nul doute, tu t'es sacrément fait mal au coccyx.

— Aide-moi au lieu de me faire un cours d'anatomie.

— La dernière fois que je t'ai gracieusement offert mon aide, tu l'as rejeté du revers de la main donc là...

— C'est bon, c'est bon, je m'excuse ! T'es content ?

— Non.

— Qu'est-ce que tu veux de moi au juste ?

— Que tu remplisses ta part du contrat et peut-être qu'après, j'envisagerais quelque chose.

— T'es sérieux ? Je viens littéralement de m'écraser par terre, je peux à peine me lever.

— Pas mon problème. Prends ton temps. Tu ne commences que ce soir. En attendant... Je vais aller manger mes œufs brouillés.

— Tu ne vas pas me laisser moisir ici quand même ?

— Oh, mais tu as toute ma confiance Tobias ! Je suis certain que dans dix minutes tu es sur tes deux jambes. »

Quel enfoiré de me laisser là.

Quand j'ai douloureusement réussi à me relever, Nick était assis sur le rebord de la baie vitrée, une assiette à la main et je fus presque saisi par l'envie de lui étaler sur son visage afin d'effacer son heureux sourire.

« Franchement, ces œufs sont un délice ! »

Va te faire cuire un œuf supplémentaire mon gars !

« Tu sais Tobias, plus je te regarde et plus je me dis que je devrais quand même te donner des cours. Le boulot d'escorte, ce n'est pas de faire la tronche toute la soirée, même si tu serais certainement le meilleur dans ce domaine-là. Ça t'arrive de te dérider de temps en temps ou t'as tout le temps cet air de coincé ?

— Je n'ai juste pas envie de sourire devant toi.

— C'est dommage, je serais presque sûr que tu serais plus mignon ! Mais bon... »

Je commence à prendre le pli du Nick fanfaronneur, s'amusant de tout et de tous. Ça doit le faire marrer de me voir en galère. En souffrance. Ça doit lui plaire. Il doit certainement se dire tout puissant, aider un mec comme moi...

« Néanmoins, pour quelqu'un qui voulait se tirer il n'y a pas dix minutes de cela, je te trouve bien statique. Un problème ?

— J'ai mal, bordel !

— Ah, bah en même temps... Tu t'es un peu écrasé comme une merde. »

Merci de me le rappeler.

« Pourquoi tu m'aides Nick ?

— Parce que tu me l'as demandé ?

— Ouais, mais t'es pas un bon samaritain aidant tous ceux qui sont dans le pétrin. T'as pas cette réputation-là. Donc pourquoi moi ?

— Oh ! Ça me blesserait presque. Je n'en sais rien. Disons qu'avec ton air de chiot battu et ta queue entre les jambes... ça m'a un petit peu émoustillé.

— Et c'est tout ? On te fait un regard malheureux et tu deviens Superman ?

— Honnêtement ? Ouais. Et puis ce n'est pas comme si ton avis allait changer sur moi, n'est-ce pas ? Tu dois toujours me voir comme le grand méchant loup ? Je t'en veux pas, c'est ma réputation.

— Tu t'en fous donc ? De ce que l'on pense de toi...

— Complètement ! Ou disons plutôt que je me suis fait à l'idée. Il y a des gens qui vivent pour éviter les étiquettes, moi je vis à travers la mienne. C'est celle qui me permet d'exister.

— Si tu crois ça, alors t'es bien plus désespéré que moi. Je suis peut-être à la rue, c'est vrai, mais je n'ai pas besoin d'une quelconque étiquette pour exister. »

Je n'en ai jamais eu besoin. À l'instant même où je me suis retrouvé seul, j'ai appris à ne compter que sur moi-même, à ne dépendre que de moi-même en laissant ce monde trop injuste à mes yeux, loin de mes affaires. J'ai essayé. J'ai lutté. Des années et des années, je me suis battu pour qu'on ne voie pas que « l'orphelin » en moi, mais bien Tobias.

Sauf qu'un matin, j'ai enfin réalisé que l'un n'allait pas sans l'autre.

« Bon, ramène ton cul vers là qu'on s'en occupe ! »

Excuse-moi ?

« Pas dans ce sens-là abruti ! Ne me regarde pas avec de si gros yeux ! Rachel va t'aider. Moi, j'ai d'autres chats à fouetter dans la matinée. »

Dis-moi Nick si tu laisses l'oisillon sortant de son nid tout seul pour aller t'occuper des chats du quartier, qui veillera sur moi en ton absence ? 

The Other Side (BxB) - Tome 1Where stories live. Discover now