Sunflowers Sisters

17.

Point de vue de Laurena :

- Laura, s'il te plaît garde ton calme.

Notre capacité à interchanger nos places est un peu déconcertant lorsqu'on a pas l'habitude. Là actuellement on pourrait croire que c'est moi puisque c'est mon corps, et pourtant c'est bel et bien Laura aux commandes. J'avoue que j'y suis un peu pour quelque chose puisque je me suis un tantinet énervée en découvrant la vérité sur mes parents. Mais je ne pouvais pas rester de marbre, après tout ceux qui m'ont élevé l'ont fait uniquement pour du fric ! J'ai l'impression d'être comme ces enfants qu'on fait naître juste pour se servir de leurs corps comme d'un réservoir à organes pour leur frère ou soeur plus âgé parce que ce dernier est malade. Cette fois, on ne prend pas ma moelle osseuse ou l'un de mes reins, non, je sers de réceptacle à des cellules d'une morte pour contenir son petit frère devenu sans doute un peu instable. Je suis née pour être une coquille, rien de plus.

Hannah est au bord du meurtre aussi. Tandis que mon alter ego laisse la lame du couteau sur la gorge du médecin, l'inspectrice fixe méchamment Jimenez pendant qu'il prend un crayon pour rédiger l'autorisation. Le docteur étant un peu trop lent au goût de Laura, cette dernière appuie un peu plus le couteau contre la peau du monstre à la blouse blanche. Quelques gouttes de sang coulent sur le bureau, et Hannah semble plutôt ravie de la tournure que prend le règlement de compte.

- Dépêchez vous un peu, on a pas que ça a faire.

L'inspectrice s'approche du médecin d'un air menaçant. Elle offre un hochement de tête à Laura qui déplace sa lame vers l'artère importante qu'est la carotide. Si la Victoriano décide de trancher, la vie de Jimenez s'arrêtera en quelques secondes.

- Laura, vas y doucement quand même.

La jeune fille éclate de rire en entendant mon inquiétude. Hannah fait une drôle de tête mais comprend rapidement que c'est moi qui me suis adressé à Laura et que c'est suite à mon intervention que la machiavélique Victoriano rit à gorge déployée.

- Si vous n'êtes pas un peu plus rapide je crois que vous allez bientôt vous vider de votre sang, Jimenez.

Hannah rit à son tour. J'ai l'impression d'assister à un rituel satanique lorsqu'on s'apprête à égorger une pauvre biquette. J'aime beaucoup l'inspectrice et Laura mais je dois avouer qu'actuellement elles me font un peu peur !

Jimenez écrit des lignes et des lignes sur une feuille vierge avant de remplir une autre feuille déjà préremplie. Le second papier ressemble à une autorisation de sortie comme celles que donne les professeurs pour les balades scolaires. Il y indique son nom puis le mien avant d'apposer le tampon de l'asile sur les deux fiches qu'il a terminé de remplir. Le médecin les tends en tremblant a Hannah qui récupère les feuilles avec un sourire victorieux collé au visage.

- C'est bon Laura, retourne à ta place maintenant s'il te plaît.

Au fond de ma propre tête j'ai la voix un peu hésitante. On a récupéré les papiers que nous avions besoin mais Laura ne bouge pas alors que nous devrions déjà être partie. Je sens ma main qui appuie un peu plus fort sur le couteau suisse sans que je ne puisse la contrôler. Sa rage prend le dessus sur ses principes, Jimenez a détruit des vies et Laura est déterminée à lui faire payer.

- On y va, Laura. Je veux retrouver Laurena pour ce qui va suivre, s'il te plaît.

Moi aussi j'aimerais bien me retrouver ! Mais Laura n'est pas de cet avis et n'écoute même pas l'inspectrice. Hannah tente de prendre une voix douce et réconfortante pour calmer mon alter ego, sans aucun succès.

Celle qui est habituellement une simple voix tient fermement la nuque du médecin avec sa main de libre, et lève celle qui tient la lame. Je hurle un long non continu en comprenant ce qu'elle s'apprête à faire mais heureusement le coup ne vient pas. Hannah retient le poignet de Laura - du coup le mien - pour l'empêcher de planter le couteau dans la gorge de Jimenez. La Victoriano lance un regard noir à l'inspectrice en soufflant comme un taureau en colère. Elle n'a jamais aimé qu'on la contredise.

- Si tu fais ça, Laura, vous ne pourrez jamais sortir d'ici. Vous finirez votre vie en camisole de force dans une chambre d'isolement. Laurena ne le mérite pas, tu ne crois pas ?

- Je sais que c'est dur, mais s'il te plaît, il faut que tu réfléchisse un peu. Nous sommes à deux doigts de retrouver la liberté, ne gâche pas tout pour une simple vengeance.

Laura soupire bruyamment en hochant la tête de bas en haut. Ça y est, elle capitule. Je quitte rapidement le néant de ma propre tête pour retourner aux manettes de mon corps.

- C'est bon, Hannah, je suis là.

- Très bien. Allez on va vite faire ta valise et on s'en va.

On abandonne un Jimenez tremblant et en sueur à cause de la peur. Hannah lui adresse un dernier regard menaçant avant de me suivre dans les couloirs. On gagne rapidement ma chambre miteuse pour récupérer mes quelques affaires. Je balance tout dans des sacs, mais prend soin de bien plier mes dessins, enfin ceux de Laura du coup. Elle était déjà à deux doigts de tuer Jimenez alors je ne veux pas être la suivante sur sa liste ! 

L'inspectrice m'aide un peu. A deux c'est toujours plus rapide. Heureusement je n'ai pas grand chose et la chambre est vite vide. Je respire un grand coup en me rendant compte qu'après toutes ces années d'attente, je vais enfin me retrouver à l'air libre. Le plus triste, c'est que j'ai toujours pensé que je repartirai avec mes parents, au lieu de ça je quitte ces lieux avec une inspectrice rencontré  quelques jours plus tôt. Hannah porte sur ses épaules la charge d'une fausse schizophrène avec une morte dans le crâne. J'espère qu'elle ne le regrettera pas.

- Laura allait tuer Jimenez mais vous étiez là. Dans votre regard, elle a vu la hargne et le courage, ce qui lui rappelé son petit frère. Elle ne vous le dira pas directement, mais elle vient de le murmurer dans ma tête.

- Elle a vu quelque chose dans mes yeux qui correspondait à son petit frère? Les yeux sont les fenêtres de l'âme, Laurena. Ils te trahissent toujours, c'est comme ça que je cerne les gens. Je les regarde dans les yeux et j'observe... C'est là que passe toutes les émotions de l'esprit. Il faut que tu saches que l'esprit est plus fort que tout.

- C'est ce qu'elle m'a dit mais son frère lui manque tellement qu'elle espère secrètement que lui aussi vive à travers quelqu'un, et à première vue, à travers vous. Comme vous dites, l'esprit est plus fort que tout.

Un silence pesant s'installe dans la chambre de l'asile. Je quitte Beacon, prête à découvrir la vérité aux côtés d'Hannah. Aujourd'hui nous en savons plus, mais nous ne savons pas encore tout. Qu'est devenu Ruben ? De qui Jimenez a si peur ? Pourquoi Hannah et moi sommes les pièces du puzzle ?

Les portes de Beacon se ferment afin d'ouvrir celles de la vérité.