Chapitre 16 - Prévenue

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Heureusement que ma mère est là le matin même de mon retour, car je suis une loque. Épuisée, distraite, à cran, j'ai du mal à gérer les enfants, qui sont pourtant sages. Je suis soulagée, mais un poids pèse sur ma poitrine : la culpabilité. Je continue de me demander en boucle si j'ai bien fait de communiquer avec Alaster. Ai-je simplement précipité l'inévitable, ou ai-je mis le doigt dans un engrenage qui ne se serait jamais mis à fonctionner sans cette fichue lettre que j'ai rédigée?

Ma journée de travail se transforme en journée à végéter. Une fois n'est pas coutume. Qui plus est, puisque je suis généralement en avance sur mes projets, je peux me permettre ce luxe de temps en temps. Aujourd'hui je le prends. Je pense que n'importe qui ferait pareil à ma place. Je ne pourrais pas me concentrer même si je le voulais : j'ai du mal à penser en français. Cette pause — et le sommeil, surtout! — me permet de mieux apprécier la présence de mes enfants lorsqu'ils reviennent de l'école et de la garderie. La soirée m'apaise un peu.

Je me sens encore mieux le lendemain matin, sauf que je suis courbaturée. Je me sens encore piteuse, même si la nuit horrible que j'ai passée me semble moins horrible à mesure que le temps passe, et la menace, moins réelle. Sur mon poignet douloureux commence à se dessiner une marque violacée. Pour éviter que les enfants ne la remarquent, j'ai enfilé dessus un chouchou à cheveux bien épais dont l'élastique est si fatigué qu'il ne sert plus qu'à la création de chignons utilitaires. Pour les prochains jours, je garderai mes cheveux détachés.

Après avoir malgré moi instauré une communication plus active avec Alaster, qui entend forcément tout ce que mon téléphone lui transmet, je m'attendais à devoir justifier mes moindres faits et gestes, de la couleur de mes sous-vêtements (il fallait bien que je me change un jour!) au nombre de verres de vin que je prends après avoir couché les enfants.

Mais non.

Mon téléphone est demeuré étrangement silencieux depuis qu'il m'a pardonné mon écart de langage. Je suis à la fois soulagée et appréhensive. Dois-je m'attendre à ce silence radio de façon générale, notre dernière conversation ayant été une simple exception, ou bien est-ce de mauvais augure? Je suis probablement parano. Il a d'autres chattes à fouetter, et à surveiller, probablement.

Il faut dire aussi que pour atténuer les risques qu'il ne capte absolument tout de ma vie, ou au moins éviter qu'il m'observe me changer, j'ai commencé à laisser mon téléphone sur les surfaces dures avec l'écran vers le bas. J'essaie le plus possible de laisser l'appareil dans ma chambre, mais les enfants me le rapportent spontanément en croyant que je l'y ai oublié. Emma, en particulier, déteste que je ne l'aie pas avec moi. Puisque j'utilise mon téléphone à la fois pour le travail et ma vie personnelle, impossible de le fermer. Et puis j'aurai sous peu des précisions pour notre sortie de samedi... Alors j'ai assigné une sonnerie spéciale pour les notifications en provenance d'Alaster. Pas trop spéciale, juste différente des autres sons qui retentissent et qui signifient des messages inoffensifs. Comme un courriel professionnel ou un message de ma sœur.

Mais lorsque, vers quinze heures le jeudi, je m'attends à ouvrir un message de ma sœur, à qui je viens de demander de garder les enfants samedi, c'est un message d'Alaster qui s'ouvre. D'accord, alors... j'imagine que je peux oublier toute idée de personnalisation de mon téléphone. En ce qui le concerne, du moins. Je soupire.

« Maximilien arrive avec votre tenue. Je vous permets des bas nylon de couleur chair, puisque vous n'êtes pas du genre à porter des bas résille. »

Tiens donc.

J'ai peur de ce que je vais découvrir. J'imagine déjà une jupe en cuir au ras du plaisir et un haut si échancré qu'il servirait à peine à cacher la pointe de mes seins. Me demandera-t-il de mettre un rouge à lèvres carmin, aussi? C'est ça, son genre de femme? Au moment où j'ouvre la bouche pour lui poser ma question, des coups se font entendre à la porte. Je vais répondre en redoutant le regard de l'homme de main. J'ai encore sur le cœur notre dernier entretien. Au moins je suis habillée de pied en cap cette fois. La honte est un peu moins grande. Vêtu d'un manteau de laine grise et d'un cache-oreille noir, Maximilien a l'air d'un homme lambda, ni menaçant ni particulièrement dangereux. Si je n'avais pas déjà eu des preuves qu'il est l'un et l'autre quand il le veut, j'aurais pu y croire. L'expression neutre de son visage ne laisse pas entendre qu'il se souvient de m'avoir détachée à moitié nue d'une chaise. Un point pour lui, j'imagine. Il me tend un sac et s'avance pour me parler à voix basse.

Le fauve écarlateWhere stories live. Discover now