Chapitre 33 - Subjuguée

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— Ce fut un repas d'anniversaire très agréable, Lyvie, déclare Alaster en revenant dans la cuisine, en rempochant son cellulaire. Je vous remercie de l'invitation. Je dois cependant partir plus rapidement que prévu, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Le vouvoiement est revenu, grâce à moi plus tôt. Même si je ne m'attendais pas à ce qu'il me câline avant de partir, j'avoue être déçue de cette régression dans notre relation qu'il accepte sans rechigner... surtout après ce qui vient de se passer.

J'essaie de me convaincre qu'il fait cela dans mon intérêt, mais, soyons honnêtes, qu'a-t-il fait jusqu'à maintenant qui n'ait pas réellement été dans le sien?

— Pas du tout, réponds-je avec aplomb. Nous nous reverrons, de toute façon.

Sa promesse est imprimée en caractères ardents dans mon esprit.

"Je vous ferai un dessin très clair de mes intentions lors de notre tête-à-tête, plus tard cette semaine..."

Je commence à savoir que de poser des questions ne mène que rarement à des réponses, alors je préfère formuler une affirmation. Surtout que notre rencontre à venir est inéluctable, apparemment.

— Très bientôt, confirme-t-il avec un regard appuyé, avant de partir, sa mignonne petite fille sur les talons.

Emmett se rue sur la baie vitrée du salon pour les regarder partir; je me contente de soupirer en refermant la porte. Dans les films, l'héroïne a le temps de s'appuyer contre le mur pour assimiler ce qui vient de se passer. Pas moi. Emma vient me chercher pour que je la chouchoute, et la table croûle sous les restes. Une maman n'a de repos que lorsque ses angelots sont au dodo... et encore!

Le reste du samedi, et le dimanche, je suis distraite. Je fais presque brûler les oeufs d'Emmett, et déborder l'évier simultanément, en fixant le comptoir trop longtemps, perdue dans ce moment encore trop incroyable pour être vrai. Jamais un bout de mélamine écorné n'a autant représenté à mes yeux, même du temps de la genèse de ma relation avec mon ex. Philippe n'a jamais eu cette éloquence ni cette intensité dans le regard, et la déclaration d'Alaster m'a ébranlée.

Il n'y a pas que ses paroles qui résonnent toujours en moi, j'en ai peur...

La pression de son corps contre le mien a laissé une indentation permanente dans mon âme. Le goût de sa bouche et l'odeur de son souffle m'ont tenue éveillée une bonne partie de la nuit. Je repasse inlassablement ce moment dans ma tête, et je me maudis de lui avoir donné une telle emprise sur moi. J'ai envie de le croire, je me perds en conjectures, parfois je me rabroue. Je divague à la première occasion, imaginant ce que notre futur rendez-vous donnera. Ce faisant, j'oublie de refermer le robinet de la salle de bain, me trompe de pile de linge en triant les vêtements propres des enfants...

Néanmoins mon esprit est encore assez vif pour éviter à ma fillette de mettre sa main pleine de peinture dans sa bouche et à mon garçon de faire de l'escalade sur la maison d'Éloi. Ce dernier est absent, comme la majorité du temps. Et heureusement, parce que les enfants sont encore galvanisés par la fête de la veille, et je suis heureuse de les voir sauter et courir partout pour la première fois depuis des lustres, mais ils sont plus bruyants qu'à la normale. Après, même si Éloi était là, il ne semble jamais s'en être formalisé.

En tout cas, il n'en a jamais rien dit. Ha, ha. Évidemment pas, puisqu'il est muet, Lyvie!

N'empêche, il aurait pu écrire ses doléances sur une bout de papier, ou sur son téléphone, et venir les agiter sous mon nez avec irritation, ce qu'il n'a jamais fait.

Lorsque je dépose les enfants chez leur père en après-midi, je me surprends à observer la rue en descendant de voiture : Alaster habite-t-il dans une maison comme celles-ci? Une charmante demeure passe-partout avec une pelouse qu'il tond lui-même?

Le fauve écarlateWhere stories live. Discover now