Chapitre 2 - Frustrée

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Depuis ma séparation, avec ma soeur et ma mère, nous avons décidé de faire un pique-nique sur les bords d'un lac de la région, à moins d'une heure de route, pour ma dernière journée de garde avec les enfants. C'est un endroit charmant où les enfants peuvent courir, sauter, escalader de petits rochers et jouer dans l'herbe haute et les quenouilles au bord de l'eau.

Malgré la santé vacillante de ma mère et l'horaire surchargé de ma sœur, qui étudie en médecine, nous arrivons à nous retrouver toutes les trois sans faute pour ce rendez-vous bimensuel. Je suis heureuse de pouvoir m'adonner à cette sortie; Philippe n'a jamais aimé le plein-air, et les enfants, au contraire, adorent jouer dehors.

Après notre sortie, le cœur joyeux, je ramène ma mère et ma sœur chez elles, puis je passe chez Philippe pour déposer Emmett et Emma. Mon ex vit dans un quartier de banlieue que je qualifierais de huppé si les maisons du voisinage avaient toutes le même style riche et sécurisé que la baraque qui siège au bout du cul-de-sac qui jouxte sa maison. De façon générale, les habitations y sont plutôt coquettes, bien entretenues, certes, mais sobres en comparaison de ce manoir qui surplombe le quartier avec ses trois étages et son garage double gardé par des félins en bronze.

Je ne manque jamais d'en observer la façade, émerveillée devant ses dimensions et le faste évident des lieux, tout comme les enfants... lorsqu'ils sont conscients de ce qui les entoure, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Emmett est électrisé et pas très attentif; il se prend les pieds plusieurs fois sur le pavé uni de l'entrée jusqu'à la porte. Quant à Emma, elle dort déjà comme une souche, moulée à mon épaule, son bras pendant le long du mien. Même le fait d'avoir failli la laisser tomber en l'extirpant de son siège n'a pas réussi à la faire papillonner des paupières, et je doute qu'elle se réveille avant deux bonnes heures.

La passation de l'enfant entre mes bras jusqu'à ceux de Philippe se fait sans douceur mais sans heurts. Les traits d'Emma demeurent figés dans cette perfection apportée uniquement par le sommeil du juste... si on omet la marque d'un bouton imprimé dans sa joue.

Sourire aux lèvres, j'embrasse ses boucles brunes avec tendresse.

— Je t'aime, mon trésor. À dimanche.

Je me redresse juste assez pour lui caresser la tête une dernière fois. Voir mes enfants dormir m'apporte toujours la paix intérieure, même quand mon cœur de maman saigne face à cet éloignement temporaire. Je m'efforce de me concentrer sur les faits de la semaine passée avec eux plutôt que sur celle qui se profile sans eux, et débite comme un robot les points saillants à mon ex jusqu'à la conclusion du jour :

— Ils ont bien mangé pour le dîner, mais ils ont chipé quelques biscuits supplémentaires ce matin, dis-je à l'intention de Philippe à voix basse. Il paraîtrait que c'est toi qui est venu te servir, selon Emma.

Cette déclaration nous fait rigoler sous cape, pour éviter de réveiller la petite.

— Je vois, déclare Philippe avec un sourire en coin.

Autrefois, ce rictus me donnait de folles envies. Aujourd'hui, il m'indiffère. C'est bon signe, j'imagine.

— Je dirai à Emma que je ne le ferai plus, termine-t-il en rajustant la petite contre son torse.

Toujours aucun mouvement.

Plus loin, Emmett explique avec enthousiasme notre épopée à la nouvelle conjointe de son père, Marie-Claude. Clauclau est une femme pétillante, pleine de vie et qui a toujours le sourire. Elle en serait agaçante si elle n'était pas capable d'un peu de tempérance selon les situations. Elle ne prend jamais trop de place, juste assez. Nous avons une assez bonne relation, toutes les deux. Nos intérêts divergent trop pour que nous fassions des activités ensemble, mais pour avoir pris un verre de vin à l'occasion avec elle, je peux affirmer qu'elle est une personne géniale. Mes enfants sont entre de bonnes mains.

Le fauve écarlateWhere stories live. Discover now